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Carte Blanche à Denis Vaillancourt -Vidéographe- Québec

                                      Alexandre Fatta, Aspects de la fausse vie, 4,12min

                                      1906, l’animation diversifie déjà ses techniques.

                                      Dans ce que l’on considère comme le premier exemple

                                      américain d’animation : Humorous Phases of Funny Faces,

                                      James Stuart Blackton filme non seulement une main en

                                      prise de vue effaçant les dessins de visages au fur et à

                                      mesure qu’ils sont tracés sur un tableau noir, mais un effet

                                      fumée de cigarette gêne un visage féminin alors que le

                                      papier découpé s’ajoute au dernier personnage. Un clown

                                      dessiné bénéficie d’un bras ainsi découpé, il avance le

                                      cerceau lui aussi détaché pour qu’un chien puisse sauter

au travers. Le projet est ludique.

Parmi les virtuoses de ce processus d’animation, Larry Jordan, depuis les années 50, assemble

des figures découpées empruntées à diverses iconographies. d’inspiration symboliste, d’illustration gra-

phique et surtout aux livres anciens

Avec ses images d’histoire, d’anatomie, d’astrologie, de contes ou de récits mythologiques, éloignées de

la quotidienneté, il invente des univers non narratifs où se suivent apparitions et disparitions.

Cependant, l’animation de ce type sait prendre parole politiquement. 1961, Labyrinth, Jan Lenica

sur fond d’architecture urbaine du XIXème siècle avec moulures et autres décorations, anime un homme

et des créatures effrayantes et menaçantes. L’homme déploie à la fin des ailes pour tenter de s’évader de

cette ville où surgissent les dangers les plus étranges : un squelette d’antédiluvien brame après lui, un cro-

codile kidnappeur de jeunes femmes l’attaque, une otarie coiffée d’un chapeau vole…et après qu’il a subi

des transfusions par un entonnoir enfoncé dans son crâne, un orage éclate sous son crâne. Cependant

une nuée d’oiseaux à tête d’homme se précipite sur lui, le déchiquète ; c’est son squelette qui chute.

Pour une accusation du monde comme il va-mal, l’animation découpe désormais des photos

dans les magazines et les publicités. Aspects de la Fausse vie compose ainsi ses figures alors que alié-

nation, attaque sournoise, animaux métaphoriques de la bêtise et de la cruauté des hommes sont les

ferments de ce film au titre très explicitement critique. On y perd la tête, littéralement et métaphori-

quement, par aliénation.

Alexandre Fatta inscrit, très précisément, dans le contemporain son regard ; ses humains

s’inscrivent sur des paysages ravagés, en feu, empruntés aux reportages. Le salon est meublé bour-

geoisement. Les immeubles sont typiques d’une société anonyme, consensuelle ; fenêtres multiples et

identiques. Son refus commence par celui de l’armée : dès l’incipit, en plan rapproché de dos, un militaire

face à deux hommes en costume dont la tête est remplacée par des flammes, sans doute résultante des

faits du soldat. Des images d’archives prouvent sa barbarie, la photo du Vietnamien tué à bout portant, des

explosions, des cadavres. L’art n’est pas exclu quand sa thématique mêle l’éros aux armes de mort : des

fragments de l’œuvre de Gilbert § Georges surgissent dans la succession du flicker.

L’inhumanité peut être plus insidieusement importée en aliénant l’esprit ; outre celui en feu des

hommes, celui des femmes est envahi de l’image de l’homme beau selon les canons décrétés par les

revues de mode. Un mannequin prend le corps d’une femme réduite à la silhouette en accord avec ce type

d’images, assise dans son canapé de cuir profond, toujours seule.

Quand elles sont deux, image découpée de femmes en robe estivale, elles poursuivent leur bavardage sur

des fonds changeant de désastres, incendies, catastrophes, assassinats et guerre.

Le sexe serait-il l’échappatoire : la femme seule tente de réagir voyant à l’une des innombrables fenêtres,

L’Origine du monde ou du moins une série sans fin de sexes féminins… le film s’achève sur le plan fixe

de ces murs avec en off, les sons topiques d’une montée d’escaliers et d’un frapper à une porte, sans

promesse d’une vie vraie.             Simone Dompeyre

52 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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