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         Carte Blanche à Vanja Andrijevic BONOBO Studios

                            Concernant le processus de ma technique cinématographique, il est principalement intuitif et
                 fondé sur le flux de la conscience avec une certaine structuration en temps réel. Ce qui matérialise la ligne
                 toute fine qui existe entre le savoir et le non-savoir de ce qui se passe ensuite. Cela ressemble à la lectu-
                 re du Tarot.

                 Cette interview a été réalisée à distance par Clint Enns, par courriels interposés et publiée sur le magazine
                 Spectacular Optical. Nous en retenons de grands pans et remercions Clint Enns de son autorisation.

                                                                                             Traduction: Nicole Morgan.

                                                                               Theodore Ushev, Nightingales in December,
                                                                               3min

                                                                                              Le film qui point

                                                                                      Rossignols en Décembre renverse toutes
                                                                               les attentes et son incipit en joue. Jamais de tels
                                                                               oiseaux et a fortiori de chant mélodieux dont ils
                                                                               sont réputés, n’habitent l’espace. Les seuls
                                                                               volatiles sont des monstres humains à bec poin-
                                                                               tu qui gesticulent pour se déplacer ou bien sont
                                                                               réduits à l’état de squelettes amassés jusqu’à
                                                                               saturer le sol.
                              La pénombre est le mode de lumière de cet univers de ténèbres et de sang. Seul un enfant
                 resplendit, la luminosité reconnaît sa beauté à travers le noir. D’entrée, son visage couché, en position
                 inhabituelle dans un début de film, adresse un regard, intimant de le suivre. Ce regard découvre, derrière
                 une vitre, un monde d’autant plus inattendu que la maison dans laquelle il regarde, s’élargit pour devenir
                 lieu de tortures, d’assassinats, camps de concentration.
                            L’espace de Ushev en gris et noir compose un réceptacle de l’ignominie mais il alterne avec des
                 moments d’échappée sinon d’accalmie : train, lignes électriques, tunnel. Quand la profondeur du champ
                 offre une perspective où l’on penserait pouvoir fuir, les trains ont aussi conduit à de tels lieux de barbarie.
                 Cet espace alterne plus précisément avec l’enfant, dont les gros plans en couleur dessinent un portrait
                 sans déformation et fascinant ; ses yeux poursuivant leur demande d’accepter son témoignage.
                            Ailleurs, l’animation à grands traits de peinture compose des corps meurtris, les tracés rouges
                 y surgissent. Elle réduit son trait pour en faire un groupe compact ; elle lance des fulgurances pour la
                 tentative d’évasion d’un homme-oiseau. Elle affirme l’agressivité mortifère ; les haut-parleurs hurlent sans
                 besoin de leur son, les armes tirent, la boue gêne l’avancée, les squelettes s’entassent.
                 La plasticité de l’animation peinture conduit à la limite de l’informe, sans jamais succomber à l’abstraction
                 puisque sa déformation est métaphorique de la cruauté de l’homme. Il faut continuer à la reconnaître dans
                 son passé comme dans son présent où l’homme tue l’homme.
                            Le flicker correspond à la rapidité du voyage au bout de l’enfer, à celle du tueur pour ajuster son
                 tir et tuer. La seule respiration du rythme est accordée à l’enfant y compris quand, après un dernier regard
                 dans la petite maison, il s’éloigne dans la neige dont les légers flocons apaisent le champ.
                 Sous son capuchon, seul, il devrait créer l’espoir mais en exergue sur un carton, un prélude poétique et
                 terrifiant, emprunté à T.S Eliot poursuit son travail de sape: Dans mon commencement est ma fin.
                 Maintenant la lumière tombe.
                            Rossignols en Décembre, fable noire, conduite par un enfant, point. Elle vous donne une
                 blessure dans sa lumière ténébrante.

                                                                                                    Simone Dompeyre

            58 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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