Page 58 - catalogue 2017
P. 58

Projections 5. Cinéma ABC



En fdélité irrévérente, puisque si la trame narrative saisie par les fragments de dialogue et la description de la
voix première n’est aucunement reprise, en ce footage sonore, Les Chemins Bleus obéissent au projet de Cocteau
énoncé dans Le Testament d’Orphée selon lequel : « Le privilège du cinématographe, c’est qu’il permet à un grand
nombre de personnes de rêver ensemble le même rêve et de montrer en outre avec la rigueur du réalisme les
fantasmes de l’irréalité. »
Simone Dompeyre

Nicolas PROVOST, Papillon d’amour, 03 : 55 min. (Belg.)


Papillon d’amour s’empare de Rashomon de Kurosawa – flm de
l’impossible vérité.
Nicolas Provost sait reprendre les corps dansants – réinvestir la
transe – en partageant, rapportant par deux fois une demi-image
par le simple efet miroir, il perturbe l’égalité du corps que nous
croyons porter. L’image même centralisée ne redouble pas le
même, le demi n’est pas égal au demi. Et le kimono de la femme
rampant, suppliant se métamorphose en ce papillon fascinant
parce qu’il est tout aussi porteur d’inquiétude alors que la bataille
loin de toute justifcation d’honneur se fonde sur la brutalité des
plus cruelles.
Le miroir n’est pas simple refet, il est le provocateur d’images
enfouies et qui ne sauraient s’éteindre / s’étreindre.

D.S

Dania REYMOND, Projections, 05 : 13 min. (Belg.)


Projections : Le flm qui méduse
Un mouvement explore un espace sombre jusqu’à s’approcher de
visages arrêtés. Tous vers un même point lumineux, tous dans le
sombre en réponse au propos du titre : ils sont spectateurs d’une
projection ou plutôt d’une projection tissée de diverses projections
de séances internes à des flms.
Dans un espace flmique qui se creuse en trois dimensions, afn
que ces fgures habitent le cinéma de leur fction et le flm de
notre vision, des plans fxes se sont échappés de flms réfexifs
concernant le cinéma ou portés par le désir de voir du cinéma.
Tous ces visages appartiennent à des moments de cinéma qui
flment les séances où se sont rendus les protagonistes : ceux Des 400 Coups qui font l’école buissonnière pour
dévorer du cinéma. Le peuple soviétique de L’homme à la caméra y participe à cette démonstration du réalisateur
comme travailleur avec son outil tournant – le pseudonyme même du réalisateur Vertov se traduit par « la toupie
qui tourne » - pour ceux-là qui regardent. Ils sourient heureux de cette image vivante. Ils deviennent les actants du
champ, les travailleurs de l’image.
La jeune femme en bleu dont le voile est quasiment inaperçu, bague bleue au sourire tout aussi heureux est l’une
des cent huit actrices du Shirin de Kiarostami, audace d’un flm iranien qui portraiture autant de spectatrices à
visage découvert, dans le bonheur de l’image.
Et emprunté à Godard, du flm dans le flm du Mépris lors du visionnage en studio privé des rushes tournés et que
l’abyme se complexife puisque le réalisateur du flm interne est Fritz Lang.
Ou de Vivre sa vie, le très gros plan de la jeune flle à la larme en perle ou les retrouvailles du Jean-Pierre Léaud
de 18 ans de Masculin Féminin.
En fondu souple sur un murmure à la façon de l’eau, emporté par les respirations, le mouvement rassemble des plans
d’échelle diférente mais privilégiant la reconnaissance de l’acteur/actrice ; des axes divers mais tous descriptifs
de la fascination optique ; il s’approche des visages de l’ombre à la lumière en accord avec ce qu’est le cinéma
qu’ils voient. Le clair obscur préside puisque jamais n’est opéré un contre champ qui dirait le flm vu. Pourtant,
c’est Shirin, amours perses contrariées que Manoel De Oliveira jugeait « beau comme la Jeanne d’Arc de Dreyer »
et précisément ce flm-ci où le visage de Falconetti est sculpté par la lumière ou taraudé par l’ombre est celui qui
56
   53   54   55   56   57   58   59   60   61   62   63