Film |France| 00:08:00 |
Les oreilles n’ont pas de paupières
“La musique est le seul, de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945… Il faut souligner, au détriment de cet art, qu’elle est le seul qui ait pu s’arranger de l’organisation des camps, de la faim, du dénuement, du travail, de la douleur, de l’ humiliation, et de la mort… Il faut entendre ceci en tremblant : c’est en musique que ces corps nus entraient dans la chambre.”
Pascal Quignard La haine de la musique
“L’oreille sans paupière” cette proposition en rendant compte de ce qui est, pour nous, évidence, brouille la particularité de l’organe de l’ouïe et nous entraîne à regarder / écouter différemment voire à s’inquiéter. L’incipit suit le décalage en inaugurant une série de cartons / tableaux blancs scientifiques ou, du moins, se référant à l’oreille ; ils s’égrènent, tout au long du film, après le fonctionnement du signal sonore de sa pénétration par le pavillon jusqu’à la notion du cortex via la transmission des vibrations par les osselets, une réflexion psychosociologique de notre conditionnement à appréhender les sons et un exemple, pour mieux cerner les codes qui régissent notre manière d’entendre : entendre une fanfare, nous induit à penser à la fête. Le texte énonce, ainsi, la non naturalité de la réception du son ; de même, il décrit tel comportement comme provoqué par le rythme et l’espace sonore s’échappe de la sphère savante en libérant une partition orchestrale enjouée et entrainante. L’image se forme à partir du roulement et déroulement d’un simple fil blanc qui se démêle en silhouette de violoniste jouant, en accord avec la partition. Le dessin au crayon glisse d’un musicien à l’autre, sans heurts, il forme une silhouette puis une autre puis un groupe superposé ; il opte pour une image commune à tous ces hommes qui composent l’orchestre alors que la rotoscopie garde la fluidité en accord avec l’harmonie musicale qui se poursuit en boucles souples et envol. Le contrepoint naît en contre champ d’hommes tapant dans leurs mains, puis leurs pieds, ceux d’officiers nazis dont les bottes suffisent à les désigner avant que le plan en demi ensemble ne les décrivent Que ces pieds soient remplacés par ceux du chef d’orchestre doit prouver le pouvoir de la musique puisque chacun obéit à son rythme ; alors le mouvement filmique révèle le lieu de la musique en introduisant le costume du chef d’orchestre, le pyjama rayé, seul vêtement laissé aux victimes des camps de concentration, un des moyens de détruire l’homme dans l’homme. Ainsi le mouvement de l’animation suit-il la même évidence que l’inscription des textes ; la musique est souveraine et un nouveau changement d’axe inclut, autre synecdoque, la victime rudoyée, jetée à terre sous les crocs du chien juste tenu par le Kapo. Tous les hommes crayonnés de blanc sur le noir sont joueurs et/ou torturés : deux plaisirs affichés pour les mines réjouies des Nazis. Nazis qui scandent l’air de leur tête cependant qu’un texte cruel, par ce reflet, affiche une phrase minimale “la musique berce”. Dans la tranquillité du texte explicatif, s’impose ce que nous aimerions oublier que l’on puisse être cultivé et bourreau, que l’on puisse de plaire au rythme léger et à la vigueur de la destruction de l’humanité, quand on préférerait imaginer que le méchant est un sauvage hors de toute éducation.
L’animation est d’Histoire, les Nazis “triaient” des orchestres et organisaient des concerts pour le déport vers les travaux forcés hors des barbelés du camp et pour le retour des travailleurs. Elle est de réflexion contrapuntique entre le flottement de la valse enjouée et la brutalité des coups eux-aussi lancés comme en une évidence simple… Etienne Chaillou a la La haine de la musique de Pascal Quignard, il écrit en audiovisuel comment des plus fortes horreurs ont été faites dans le plaisir de l’ouïe.