Film | 00:10:10 | Canada | 2022 |
La noirceur souterraine des racines
Avec La noirceur souterraine des racines, le cinéaste montréalais Charles-André Coderre figure un concept simple mais au grand pouvoir métaphorique, en un triptyque nourri de la radiographie machinique de la nature québécoise – captée sur pellicule par Isabelle Stachtchenko. Tout commence avec un zoom sur une scène pastorale pittoresque, sur un arbre plus précisément, filmé jusqu’à l’écorce, jusqu’au matériau externe, puis plus à fond, au gré d’une auscultation pseudo-microscopique de sa pulpe et une subséquente abstraction de sa matière grâce à des images 16mm trafiquées. Cette œuvre extrasensorielle déborde les limites de notre appareil perceptif, en une « perception non-humaine » selon les mots de l’artiste. Cependant, c’est aussi une œuvre particulièrement sensorielle, une surcharge sensorielle, quand deux images complémentaires se juxtaposent à la première et qu’elles se mettent toutes à danser, à vibrer, à résonner, mêlant la figuration à l’abstraction dans un tout indifférencié, au gré d’un vaste tableau vivant, qui se recompose constamment. Hérité de la pratique live de l’artiste, le triptyque provoque une foule de fascinantes permutations, selon sa propre logique avant tout sensible, enivrante, palpitante, établissant un lien symbolique probant entre le cinéma argentique et le monde vivant. Cette auscultation de la matière forestière s’y obtient par auscultation de la matière argentique. En effet, le caractère terreux, pierreux de l’œuvre -qui vibre au son de deux roches frappées l’une contre l’autre- naît notamment du processus d’enterrement et de dégradation naturelle de la pellicule que d’autres praticiens du cinéma expérimental apprécient notamment Jürgen Reble, processus qui enrichit les procédés chimiques normalement utilisés pour le développement. Et alors que cela exacerbe sa puissance symbolique, l’œuvre se vit comme une expérience, une expérience de cinéma pure et grisante.