Mise en culture, récolte et dispersion des épines, 2025, film, 11’11 (FR) :
« La culture des épines nécessite plusieurs étapes : mise en terre, pluie, patience et récolte.
L’Homme-Chapeau sème le fruit de sa cueillette sous les semelles des passants.
Un jour, un orage éclate et sème la pagaille dans son orchestration millimétrée.
J’ai longtemps eu une manière particulière de communiquer mes émotions et de prendre place dans un cercle social. Je ressentais un décalage qui me faisait me sentir mal à l’aise. Sans en avoir conscience, je dévalorisais ceux qui m’entouraient. Chez moi, cela passait par des sarcasmes, de l’ironie, des petits “piques” que je lançais aux autres. Je partageais mon malaise, tout en répondant à un besoin d’extérioriser mes émotions. D’une certaine manière, je me soulageais. Le temps, la communication avec mes proches et les répercussions de ce mode de communication m’ont fait réaliser qu’il avait un impact émotionnel sur les autres.
Cette prise de conscience m’a fait grandir et m’a permis de mieux me comprendre ainsi que ceux qui m’entouraient. Ce sentiment de décalage, dont j’ai conservé des traces, m’a toujours poussée à observer les différents modes de communication autour de moi.
Dans cette réflexion est né l’Homme-Chapeau, un personnage dont l’univers et le mode de vie sont adaptés à sa composition physique singulière : il ne voit et entend qu’à travers le prisme de son chapeau. Son champ de vision est réduit, mais ses autres sens tels que l’ouïe, le toucher sont accrus. Il vit la réalité confortablement dans son chapeau, comme dans une bulle. Comme il ne voit que les pieds des passants, L’Homme-Chapeau communique avec eux en semant des épines sous leurs semelles. Dans sa réalité, il s’agit d’un moyen d’interaction, il n’a pas les codes sociaux et ne réalise pas que les épines sont piquantes.
Pour tenter de comprendre l’Homme-Chapeau, je nous place au plus près de son point de vue, tout au long du film. J’ai envie que le spectateur expérimente intimement le rapport au monde et la différence de l’Homme-Chapeau. À la fin du film, nous prenons conscience en même temps que le personnage de son humanité et de celle des autres. L’Homme-Chapeau grandit littéralement, il se métamorphose et voit le monde différemment. Les épines se révèlent être des petits instruments qui émettent des notes agréables.
En les faisant tinter, les passants et l’Homme-Chapeau créent une musique ensemble. Il m’importe ici que l’Homme-Chapeau ne change pas radicalement. Il adapte sa manière d’interagir aux personnes qui l’entourent et à leur sensibilité, tout en restant fidèle à lui-même et sa propre singularité, à travers l’utilisation de ses épines. À travers la prise de conscience de l’Homme-Chapeau et
l’ambivalence des épines, je m’amuse à changer de perspective. Je joue avec la manière dont on perçoit les gens et les choses.
Je ne cherche pas à être moralisatrice mais plutôt à inviter le spectateur à partager l’onirisme de l’Homme-Chapeau, comme une expérience sensitive. Faire réfléchir avec comédie et poésie. »
— Jeanne Girard
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