Insoumuse, 2025, Photographie, CA :
« InsoumuseL’Immatérialité Révélée – Réarmer le Regard
Insoumusen’est pas seulement un projet photographique ; c’est, pour moi, une intervention critique et visuelle qui engage un dialogue direct avec l’histoire du cinéma. À travers une série photographique immersive, mon projet cherche à démanteler les mécanismes de représentation du « male gaze »: le regard masculin en l’inversant radicalement. Je prends pour pivot la figure de Delphine Seyrig – actrice emblématique et militante féministe – afin de subvertir l’érotisation passive des corps féminins à l’écran. L’objet traditionnel de la fascination devient ici un sujet de résistance actif, rendu possible par l’intégration stratégique de la réalité augmentée (RA) et d’une intégration sonore ciblée.
La démarche artistique d’Insoumuse s’articule autour de trois objectifs: rendre visible l’invisible, réarmer le regard et activer la mémoire. J’invite le spectateur à une expérience interactive et intime où la photographie agit comme un portail vers des récits filmiques et militants, révélant toute la complexité de l’héritage de Seyrig.
Le cœur visuel du projet s’inscrit sur la reprise et la réinterprétation de constructions iconiques du cinéma, celles qui ont figé l’image de Delphine Seyrig, de L’Année dernière à Marienbad à Jeanne Dielman. Les clichés choisissent Seyrig de dos, souvent isolée ou dans des décors chargés, jouant sur des contrastes de lumière et de couleur. Ce dos tourné est un acte de résistance formel. Il refuse la frontalité convenue et la disponibilité attendue du corps féminin face au désir du spectateur. Il n’est pas une invitation, mais une affirmation d’absence et d’autonomie. L’œuvre force ainsi le regardeur à rompre avec la consommation passive de l’image pour s’engager dans une interrogation active de celle-ci.
La réalité augmentée est l’outil privilégié de cette subversion. Elle ne superpose pas, elle révèle les tensions sous-jacentes du champ lui-même et structure le parcours narratif de l’installation. Sur l’image 2, partant de la gauche, le dos de Seyrig dans un intérieur ornementé – celui de l’Hôtel de la Cité de Carcassonne, la RA plonge dans l’univers onirique de Marienbad, alors qu’en boucle se susurre en murmure « Laissez-moi. » Ce son résonne comme un refus et une rupture avec toute assignation de rôle. La quatrième photographie, partant de la gauche, le dos exposé dans la pièce rouge du Salon de la Villa la Sapinière de Carcassonne, est métamorphosée par la R.A. en une scène d’India Song, dévoilant la femme devant le piano avec le vice-consul. Le caractère éthéré et la langueur de la scène s’amplifient grâce à cette apparition, nourrissant la complexité des regards échangés. Image 5, la RA opère un glissement: l’image bascule vers une courte scène de Jeanne Dielman, quand s’épluchent longuement des pommes de terre. Cette juxtaposition confronte l’esthétisation à l’aliénation, célébrant la force silencieuse du quotidien féminin comme un acte de résistance en soi.
Au-delà de l’analyse formelle, Insoumuse s’avère un hommage au parcours militant de Delphine Seyrig. Son engagement féministe, notamment à travers le collectif Les Insoumuses, est indissociable de sa carrière et est ici mis en voix. L’Image Noire – au centre de l’installation- porte cette présence sonore. Ce silence iconique, cette absence visuelle n’est pas un vide mais un espace saturé de présence. Le public accède à des fragments d’interviews où Seyrig clame haut et fort son féminisme, affirmant sa stature de militante. Ce vide visuel devient le lieu d’écoute , une chambre d’écho où la voix politique résonne sans les distractions de la forme. L’actrice, ayant joué la muse fantasmée, se retourne, prend la parole et la caméra, pour devenir une force consciente et critique.
Insoumuse s’inscrit pleinement dans l’esprit de ces Rencontres Traverse en articulant l’immatériel et le geste critique et l’œuvre confronte l’immatérialité du fantasme filmique à la tangibilité d’une critique engagée et d’une action interactive.
Contexte de production
À l’été 2025 à l’invitation et avec le soutien de l’association photographique GRAPh – Cmi et le domaine viticole, Domaine de la Sapinière de Carcassonne j’ai eu la chance de réaliser une résidence artistique de 5 semaines et de poursuivre dans ce contexte une recherche créative et un projet déjà débuté à Val-David au Québec. L’un des volets de ce travail artistique est la mise en place de dispositifs de confrontation de ma propre fascination pour la grande comédienne que fut Delphine Seyrig. Le projet Insoumuseen est la première résultante. » »
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