Tokyo Kaitensû, 2024, Film, 3 min 59 (Toulouse) : « Tokyo kaitensû.
Dans l’entrelacs de la Yamanote Sen * et de la Chuo Sen, la ville déploie sa chorégraphie perpétuelle. Entre 2005 et 2013, Tokyo est devenue le territoire d’observation de Guillaume Beinat Prunet, un laboratoire dans lequel chaque période lui a révélé de nouvelles strates de compréhension comme d’exploration.
Tokyo se lit comme une partition complexe où les silences comptent autant que les crescendos. Dans les interstices des tours de Shinjuku, les espaces de respiration du Yoyogi Koen **, les flux humains des gares, se dessine une cartographie sensible. La ville oscille en permanence entre des états contradictoires : densité et vide, vitesse et contemplation, ordre et chaos organique. Les lieux de transition – gares, passages souterrains ou croisements – s’avèrent autant de scènes d’un théâtre quotidien de millions d’existences. La caméra capture ces moments où l’ordinaire bascule dans l’inattendu : un ralentissement dans le flux des piétons, une pause impromptue dans le rythme urbain, un regard qui s’attarde sur un détail incongru etc.
L’Intelligence Artificielle comme Révélateur. Dans ce projet, l’introduction de l’IA par Jeremy Delhuvenne ne vise pas une simple transformation esthétique. Elle agit comme un prisme qui décompose la réalité urbaine, révélant des aspects invisibles à l’œil nu. Les algorithmes deviennent des collaborateurs qui réinterprètent les séquences filmées, créant des couches de lecture supplémentaires où s’entremêlent réel et imaginaire s’entremêlent. Ce dialogue entre capture documentaire et transformation numérique questionne notre perception de la ville et de son urbanisme. Les séquences générées induisent une lecture alternative de Tokyo, alors la mégalopole devient un palimpseste vivant, superposant mémoire collective et interprétation personnelle.
Une Exploration des Intervalles. Ce projet de deux regards, de deux pratiques de l’image, reconnaît particulièrement le » »ma » » / 間 – ces intervalles, ces espace-temps qui structurent l’expérience urbaine japonaise. Dans ce séquençage, dans ces transitions comme des points focaux, la ville révèle sa véritable nature : non pas une succession d’événements spectaculaires, mais une trame continue de micro-événements constitutifs de son identité profonde.
La ville se décale d’elle-même : quand la foule de Shibuya ralentit imperceptiblement, quand le silence s’installe brièvement sur un quai de métro, quand la lumière artificielle des néons se mêle aux derniers rayons du jour. Ces moments, transformés par l’IA, provoquent une nouvelle géographie émotionnelle de la ville.
Le terme kaitensû / 回転数 évoque des rotations incessantes, ces cycles qui définissent ici le pouls de la ville. « »Tokyo kaitensû » » est d’une nature changeante, une vision dystopique ambivalente d’un espace en équilibre entre contradictions et mystères. Chaque plan comme une invitation à observer comment la ville se réinvente, « s’utopise », comment elle absorbe et transforme les éléments qui la composent. La tension entre l’observation documentaire et la réinterprétation numérique crée un espace de réflexion sur notre rapport à l’urbain contemporain et nos désirs de déambulation. Dans ce dialogue entre réel et virtuel, entre passé et présent, entre humain et machine, émerge une vision de Tokyo qui transcende les clichés pour atteindre quelque chose de plus essentiel : la pulsation même de la ville, son perpétuel devenir, sa transformation vers l’ailleurs.
*1ligne ferroviaire
** Parc
*** le silence ou la pause produisant rythme et sens, créant un équilibre entre le son et le silence, le mouvement et l’immobilité. »