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         Carte Blanche à Ron Dyens-SACREBLEU Productions

                           L’expérimental comprit très tôt les potentialités de ce « image à image », sa plasticité et son apti-
                tude à dépasser les effets de réel, à provoquer une autre temporalité et à conjoindre des espaces pourtant
                pensés irréconciliables.

                           Georges Sifianos, en maître de cette écriture, réunit des mondes, celui de la marionnette à
                celui du Bunraku et ceux-là à celui de la pixilation. Il ne les assemble pas mécaniquement mais en conta-
                minant le manipulateur du second art qu’il apparente aux marionnettes, en libérant la marionnette qui agit
                de façon autonome et en prenant pour unité, le photogramme d’une prise de vue réelle de corps réels; cela
                la vidéo le peut. Il vogue ensuite jusqu’à l’image calculée.
                Le Bunraku entraîne des marionnettes de grande taille, manipulées à vue ; chacune par trois manipula-
                teurs dont la gestuelle varie, du mode réaliste / furi, à la stylisation / kata en accord avec l’intrigue ; en outre
                pour faciliter leur maniement, ceshommes se déplacent jambes à demi fléchies selon la position du katha-
                kali. La marionnette - est-il nécessaire de le rappeler - s’est évadée du castelet où se cachent les tireurs
                de ficelle et les diseurs de dialogue, au grand plaisir des enfants conduits dans les parcs, qui préviennent
                de la présence du gendarme : déjà l’opposition poursuivi / poursuivant. La marionnette n’est plus obliga-
                toirement de bois, habillée à la lyonnaise ou articulée, importée de l’Asie…désormais figurine articulée ou
                non, en bois, carton, os, cuir, terre cuite, plastiline et matériaux divers, elle est menée par un ou plusieurs
                marionnettistes.

                           Norman McLaren, en 1950, prouve l’efficience de la pixilation, dans Les Voisins qui, déjà, suit la
                montée de l’animosité des dits-voisins vivant en bonne estime jusqu’à ce qu’ils se disputent la possession
                d’une fleur. Ils commencent par clôturer leur demeure, passent aux coups, au meurtre - y compris du bébé
                et de la femme de chacun. Après la description des deux tombes contiguës où grimpent deux fleurs, Les
                Voisins s’achève sur le conseil, en maintes langues, d’« Aimer son prochain ». Connu pour ses films
                abstrait, Dots and Loops, 1939 ou plus figuratifs quoique au dessin très simplifié, Dollar’s Dance, 1942,
                McLaren transférait, dans ce film-ci, pour les mouvements humains, la technique appliquée aux objets pour
                leur donner animation.
                En second et indispensable exemple, Harpya, de 1978 de Raoul Servais, non seulement parce qu’encore
                il s’agit de violence à l’égard de l’autre - certes des œuvres plus optimistes adoptent ce processus - mais
                précisément parce qu’il mêle prises de vue réelles et animation. Raoul Servais photographiait puis travai-
                lait le plan; il composa son monstre aux seins nus féminins et crâne rasé réels sur un corps de rapace cons-
                titué avant de rephotographier. Harpya lui prit un an et demi de travail, image par image, intégration dans
                le décor peint par lui-même et incrustation grâce à des miroirs.

                       Georges Sifianos, avec une semblable acuité, prouve combien ce n’est pas la technique qui prédo-
                mine mais combien il la faut retenir en totale osmose avec le propos qui en découle ; sa clausule opère
                ainsi, une destruction iconique métonymique de la destruction des hommes entre eux ; la figure se dissout
                dans la fractale, se fond dans le mouvement premier en une autre «animation». Il débute sur le corps,
                passe à la marionnette, termine sur le numérique
                En plan taille, deux êtres identiquement vêtus de blanc, chasuble sur blouse, sans signe distinctif de clas-
                se, de métier, de préoccupations et pareillement maquillés de blanc tels les danseurs du Butô ; ils occu-
                pent, au premier plan, symétriquement le champ vide sur fond gris. Selon la chevelure, ils sont homme et
                femme, puisque ce dont est capable chacun ne propose pas de distinction; plus encore, ils encadrent de
                profil, l’inscription du titre qui donne à chacun, l’énonciation de ce «môa».
                D’abord de dos, puis face cachée par un papier que chacun tient, ils se touchent la main, avant de bouger
                selon des figures de cet art japonais, qui se lisent comme des signes. Le double est de rigueur, le visage
                reste imperturbable. Avant le dérèglement, ils se mesurent, s’évaluent, l’un regardant les dents de l’autre-
                comme le maquignon le fait pour estimer un cheval,ou ouvrant l’œil de l’autre au sens littéral du terme. Les
                gros plans scandent ce crescendo.
                Dans une scène à la Laurel et Hardy mais dans une atmosphère qui n’emporte par le rire, chacun cherche
                le prochain « truc » à faire subir à l’autre, ou étrangement, en éclaircie, y compris de couleur, ils se lancent

            64 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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