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Ariane LOZE

              Dans ses fictions, il y a certains regards d’incompréhension entre les doubles qui mettent mal à l’aise
parce qu’ils nous parlent de notre expérience face à une image de nous-mêmes dont nous n’avons pas le souvenir
de l’avoir vécue. On sait que c’est nous mais on ne s’en souvient pas, on torture notre mémoire mais non, cette partie
de nous ne nous appartient plus. Comme l'amnésie infantile nous enlève une partie de notre enfance et pourtant : ça
a été nous ! D'autres peuvent en attester, nous avons été mais notre mémoire a été gommée. Il y bien sûr beaucoup
de connivence entre ces doubles qui abolissent les mots et par là-même nous laissent dans le flou: nous ne sommes
pas dans leur intimité, leur entente est fusionnelle, cellulaire ! Ariane envisage dans ce projet que " La vie est une
pièce de théâtre : ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée." Sénèque

              Dans les formes performatives, cette situation de solitude est encore plus criante puisque le montage
parallèle n'y est pas possible : Ariane doit constamment sortir d'elle-même pour réintégrer son "autre", se répondre,
se regarder sans se voir. Le spectateur doit faire l'effort de garder le fil de chaque "autre" qu'il voit tour à tour et
reconstituer mentalement la cohérence, la réactivité, le déroulé naturel qui se trouve ici distendu par les transfor-
mations de l'actrice mais aussi par son passage également par le rôle de la réalisatrice-cadreuse ( aide-toi, le ciel
t'aidera non ? ) qui capte cet échange voué à être film… ou pas, car la fiction est ailleurs ! La fiction est faite par
le public qui assiste à la scène et la reconstitue mentalement mais il peut également s'y retrouver mêlé à force de
changements d'axe de la caméra, il se retrouve forcément dans le champ. Et ce "film", capté à grands efforts, est-il
vraiment le but de la performance ? Non. L'idée de film est à prendre au sens strictement matériel : une mince couche
( on peut aussi dire une pellicule ) qu'Ariane place entre ses différentes personnalités pour les rendre indépendantes,
uniques et visibles. Des "films", des Ariane(s). Pour terminer peut-être, une petite recommandation pour la suite du
projet, sortie de la bouche d'Orson Welles : " Mon médecin m'a recommandé d'arrêter les petits dîners pour quatre.
A moins qu'il n'y ait trois autres personnes. "

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                          Photos : Ariane LOZE

ÉCOLE SUPÉRIEUR DE L’ AUDIOVISUEL / LES ABATTOIRS                                                                         81
                              PERFORMANCE

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