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Ne perdez jamais aucune occasion d’expérimenter ; le prestige du cinéma se tient à l’expérimentation,
sans expérimentation le cinéma perd toute valeur ; sans expérimentation, le cinéma cesse d’exister.
Cavalcanti, 1897 – 1982, qui pratiqua tous les métiers du cinéma.

Quand l’art accroche à son nom « expérimental » ou « différent », il peut perturber
parce qu’il affiche un désir d’aller sur d’autres chemins mais aussi induire que
l’on pourrait craindre de s’y aventurer. Pourtant le cheminement vers l’inconnu,
la dé-marche ne devraient-ils pas être le fondement de toutes formes actives
de l’art comme de la pensée, du faire en art… il est facile de le prouver et ce,
paradoxalement, même avant l’appellation dont nous nous réclamons. Et puisque
le cinéma fut premier dans la démarche de Traverse Vidéo, convoquons Koulechov
qui, inventeur de la première école de cinéma et de tant d’effets de montage que
l’un est désigné par son nom, revendiquait comme ligne directrice de son projet :
« l’étude des possibilités créatrices du montage. J’assemblais "l’inassemblable" je
mettais des plans dans le désordre le plus inhabituel et puis je regardais ce que cela
donnait. »
Plus encore, faisons des raccords de pensée  : le cinéma expérimental baignait
dans l’esprit du doute qui engageait la peinture vers l’abstrait avec, en 1910,
la première aquarelle abstraite de Kandinsky qui emprunte à la géométrie  ;
la publication, à la même date de la théorie d’Einstein et de ce nouveau modèle
espace-temps  ; les textes fondamentaux de Freud concernant la formation de
l’inconscient et ses lapsus, actes manqués, rêves…
Par ailleurs, le cinéma suivait les désirs de voir provocateurs de tant de machines :
le télescope en 1865, le microscope en 1870, l’instantané photographique 1870  –
1880, les Rayons Röntgen dits Rayons X, la même année que la première séance
publique de cinéma 1895. Et ce, même si le vœu commun concerne alors la vérité
de l’image ainsi un autre grand ancêtre, Vertov réclame que « la méthode du ciné-
œil est la méthode d’étude scientifico-expérimentale du monde visible ». Art et
science ont affaire ensemble.
Redire, par ailleurs, que l’art n’est pas de la décoration et qu’il n’y a art que dans
une démarche similaire. Puisque par définition, l’art crée ce qui n’existe pas, il n’est
pas, quand il fait œuvre, un reflet sage du réel, point pour point… Il est recherche…
fondamentale.
Le cinéma expérimental le rappelle en accrochant à son nom « expérimental » ou
« différent ». Et par là, il se démarque des œuvres de fiction ou des documentaires,
non parce qu’il serait vain, vide – lui aussi dit le monde mais il le fait différemment –
mais parce qu’il fait acte de décalage avec l’attendu. Il refuse d’être un semblant de
copie et de se plier à des normes, ainsi déborde-t-il nos habitudes d’acceptation de
l’image et du son et se signale-t-il par sa recherche d’autres manières de faire art.

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