Page 59 - catalogue 2017
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5. Cinéma ABC Projections



se regarde dans Vivre sa vie.
Projections duplique la mise en abyme du regard qu’opère le cinéma sur lui-même : il entre dans ce qui, dans le
réel, est le hors-cadre et que ces flms investissent pour saisir leur pouvoir sur le regardeur. Cependant, Projections
refuse le hors-champ, ses plans suivent le mouvement sans contre-champ. Projections tait l’objet du désir de ces
regards et investit le champ des efets… la fascination à l’œuvre, le pouvoir de regard du regard. Elle dit « le ciné
m’a ».
Simone Dompeyre

Andrée-Anne ROUSSEL, Chesnut Cookies, 3min58 (Vidéographe, Can.)


Chesnut Cookies / Les Biscuits à la châtaigne ne se réduit pas à
donner la recette simple d’un biscuit fait maison puisqu’il égrène
le souvenir d’une jeune femme sur sa sœur récemment décédée,
précisément parce qu’elle lui cuisait de tels gâteaux pour la
consoler. Un idéogramme japonais en surimpression déclenche la
voix féminine over en langue japonaise sur un fond sonore plus
hétéroclite et une petite musique commune, tous deux à très bas
volume. Le rappel de la complicité sororale glisse tout au long d’un
itinéraire en funiculaire. Il s’entend alors que depuis une cabine, un
plan d’ensemble dont le premier plan en pente se couvre de forêt
verte - le mont Moïwa - et l’arrière plan érige les nombreux gratte-
ciel d’une métropole, localise Sapporo. Le léger tremblement d’une autre cabine au loin, en profondeur du champ,
ne perturbe aucunement la stabilité de ce paysage marqué par les lignes de force des lignes électriques du transport
en commun, la douleur est tranquille. Le monde ne vacille pas.
Andrée-Anne Roussel refuse l’arsenal du pathos ou les topoï des flms de Ghosts, pour ranimer la trace de cette
afection connotée par la préparation des biscuits. Elle transforme l’option simple de ce plan fxe et unique de quatre
minutes sur un paysage nature / ville en expression de la peine par ce contrepoint afectueux.



D.S
Guillaume VALLÉE, Le bulbe tragique, 6min05 (Vidéographe, Can.)

« Les choses sont là dans l’étincelle de l’absence possible. »
Régis Cotentin

Que le bulbe soit une partie souterraine d’une plante qui ne
demande qu’à éclore ou une partie de l’encéphale qui ne demande
qu’à penser, il ne menace en rien, ainsi l’approche du flm se fait-
elle, en biais, dans le déconcertant. La vigueur triomphante de
l’opus balaie cette inquiétude. Poème visuel concret, il cristallise
les potentialités matérielles du médium. Footage dont les traces
iconiques suggèrent des travailleurs, des fermiers penchés vers
la terre, ou souriants, il en perd la trace référentielle tout en la
renouvelant comme fgure flmique. La plasticité triomphe ainsi se déjoue la mort annoncée. Couches colorées,
camaïeux de bleus profonds, de luminosité zébrée, éclair de rose ou de rouge parmi les vagues vertes, emportement
des violets, le flm est.
Il se défait, passe, se perd mais pour être selon la nature même du cinéma…l’image passe, chasse l’autre en
constituant son propre temps.
Cette perte constitutive est plus sensitive encore dans l’abstraction du flm retravaillé, dans l’adoption de la
« physique des protons visibles ». En efet, une glose dès le début, explique le processus or, malgré sa précision
scientifque, elle s’entend comme un envoûtement ; elle guide, prend et loin de réduire les traces naissantes,
reprises, superposées, elle attire dans leur prolifération et jusqu’au ficker énergique. La voix est connue, son grain
de voix, son élan correspondent à celle de Al Razutis, nommé par le générique, après qu’il a convaincu : « l’essentiel
c’est d’être et de vivre ». Cet artiste, l’un des premiers à exercer le synthétiseur optique et visuel, est surtout celui
qui a approché le footage en Visual Essays, sans craindre de saisir le cinéma des origines ainsi The Train arriving
at the Station est réminiscence de L’Arrivée du Train des Lumière. Paradoxalement, la modulation plastique en
déconstruisant l’image référentielle en réveille la force fuyante.
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