Page 56 - catalogue 2017
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Projections 5. Cinéma ABC



synecdoques de lumière et d’action. Elle intègre son mode d’emploi avec Comment l’œil fonctionne et n’hésite
pas à rapprocher des mondes iconiques diférents, N/B et couleurs selon la variation de l’échelle des plans qui
suit le véhicule messager de lieu en lieu, de près puis de loin. La parole reste simple, près de chacun, près des
préoccupations de chacun - presque tous, hormis le protestataire japonais, toujours loin du sensationnel - ainsi
mentionner « 36 œufs cassés à employer pour faire le pain » rapproche la possibilité pour chacun, depuis sa table
et son journal d’agir par rapport au monde.
Simone Dompeyre

Augustin GIMEL, Il n’y a rien de plus inutile qu’un organe, 9min25 (ENSAD, Fr.)

« Il n’y a rien de plus inutile qu’un organe » écrivait Antonin
Artaud en 1947, alors qu’il donnait un nom à une Dématérialisation
possible : le Corps sans Organes. En autre écho, la structure
en triptyque de ce flm reprend celle de La Divine Comédie, sa
chronologie respecte le parcours de Dante à travers l’Enfer, le
Purgatoire et le Paradis.
Ce chemin est envisagé comme celui de la dématérialisation d’un
corps - le corps de Dante - son corps humain originel est, par son
parcours, démembré, reconstruit, réorganisé en un corps neuf
libéré de son organisme et de ses organes. Ce nouveau corps,
au contact de Béatrice et par son ascension, devient point de
circulation de fux et d’intensités de toutes sortes.


Jon LAZAM, Three Enchantments, 12min26 (Philip.)
Three Enchantments n’est pas un conte malgré la promesse du
titre et ses convocations, en trois titres de chapitres, de trois entités
jugées vivantes parmi les hommes : Santelmo, un aérolithe doué
de pouvoir, le Tikbalang / l’homme à la tête de cheval et Sirenas la
sirène, souvent vue par les pécheurs. Ce sont des êtres du réel des
Philippins autant que la nature, ils les accompagnent dans leurs
actions du quotidien, ancestrales comme la pèche au flet ou en
légère barque à fotteur à bascule ou dans celles empruntées pour
les loisirs comme le karaoké.
La vidéo portraiture le pays en suivant une femme synecdoque de
ce double discours ; fl rouge, elle rassemble le réel, la description
par l’étranger, mais passe du champ clair, de la simple activité à des variations moins sages. Elle ouvre, sous la lueur
de la bougie qu’elle tient, le récit dont elle porte ensuite la transformation.
La vidéo se fait ainsi documentaire y compris géographiquement en découvrant des plages, des maisons, des
sous bois. Elle se fait historique en se référant à des flms tournés de 1936 à 42, fction ou documentaires, à des
textes lus en voix over An Englishwoman in Philippines / Une Anglaise aux Philippines ou When we were Children /
Quand nous étions enfants de 1913 et 1942, et à des fragments des bandes-sons dont certaines, très directement,
concernent l’implication du gouvernement américain et de Mac Arthur dont les paroles étaient applaudies.
Elle se fait politique, en puisant aux deux sources du folklore vernaculaire et au récit d’une étrangère découvrant les
Philippines au début du XIXème siècle en bon Blanc. Mêlé aux matériaux locaux, ce témoignage s’avère porteur de
la vision biaisée du pays, fantasmée par l’Occidental mais il induit que cette vision demeure sous-jacente.
L’image nette, heureuse, colorée, paysagiste débute par un orage privilégiant l’obscurité traversée d’éclairs
tonitruants avant de se brouiller, découverte se faisant. La femme, parfois en un montage alterné, rassemble chaque
étape et elle fgure emblématiquement, le changement, par la diférence d’un geste sur son visage. D’abord, très
simplement, elle arrange son maquillage devant son petit miroir de poche ensuite et la temporalité se disloque, par
la réitération de sa sortie des toilettes femmes, indiquées en anglais sur la porte, alors qu’elle se mire dans un grand
miroir mural. Plus encore, alors que se renversant, bras levés, elle se fond dans la danse, des ralentis et le passage
du demi-ensemble, l’inscrivant dans le lieu, au gros plan visage voire au très gros plan de lèvres près du micro,
privilégie son enchantement. Cette sensation emporte le visuel pris en teintage ; le champ se brouille, l’iconicité se
perd, se parasite ; les corps se réduisent à des silhouettes en tracé fuorescent. Cette sensation emporte le son ;
elle passe de l’énonciation nette au refus de la parole, ainsi lors du karaoké, le jeune homme qui chante n’est pas

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