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Carte Blanche à Denis Vaillancourt -Vidéographe- Québec

                                                   Eric Gaucher, Sing pedestrian, 5min
                                                       Influencé par la peinture néo-expressionniste, Sing

                                                   Pedestrian est une œuvre qui, par la manipulation de ces
                                                   images, crée un film abstrait. Le court métrage prend
                                                   comme point de départ des séquences dans lesquelles
                                                   se déroule une rupture entre l'audio et le visuel. Les élé-
                                                   ments immanents de ces images se transcendent et
                                                   deviennent une composition rappelant des concepts
                                                   imaginaires.

                                                    Jonathan Lemieux, (Re)trace, 8,37min

                                                            L’autobiographie est une reconstruction avec ses
                                                    manques conscients ou non, ses oublis, ses refus de se
                                                    souvenir, sa dénégation de pans entiers du vécu et avec
                                                    des privilèges pour d’autres moments. Elle est aussi écri-
                                                    ture dont le matériau prend des traces de ce vécu, avec
                                                    ses codes et ses modèles dont le recours au film de
famille.
          Jonathan Lemieux reconnaît un tel lien entre lui et les images de son enfance ainsi conservées.
Il écrit son passage de l’enfance à l’adolescence mais il en renverse la motivation la plus répandue : celle
de se former comme sujet dans un récit de soi, considéré comme vrai alors que les plans multiplient cont-
re-jour, manque de luminosité, d’organisation, obéissant en cela à la loi de ce genre de film de famille. Le
montage d’archives familiales recueille les séquences canoniques de fêtes, sorties, vacances, pratiques
sportives des enfants et quelques grimaces destinées à faire rire.
          Jonathan Lemieux sape ce panorama idyllique, cette image de famille complète avec le gar-
çon et la fille, père, mère et parents. En voix off, il dirige un contrepoint destructeur de ce bonheur après
avoir comparé son cerveau à un ordinateur et sa mémoire à un disque dur. Cette reconnaissance moti-
ve les deux seuils de la vidéo : drops et déformations de l’image dénotent le retour sur le film consti-
tué. Un retour pour le démonter.
          La destruction iconique est métaphorique de la colère du réalisateur. Il compose parce qu’il
veut réécrire le passé. Il veut en effacer des moments de douleur, provoquée par ce qu’il interprète comme
le Refus par son père de ce qu’il est, et il veut en effacer très précisément son père. Son discours ne lâche
pas l’image, elle ne permet pas un autre regard sur le père, le géniteur haï. Les termes sans ambiguïté
accusent ce père d’avoir cherché à transformer l’enfant dont le comportement pas assez masculin
selon ses critères, ne correspondait pas au Fils rêvé; il sévissait ayant décelé l’homosexualité, avant
que l’enfant en eut même conscience. L’enfant, lui, avait pris pour modèle viril, un grand-père sensible
qui se suicida. Jeune homme, il ne veut pas vivre en cachant ses douleurs et il affirme ne réaliser ce
film que pour « reprogrammer toutes les données vidéo de sa vie pour éliminer le père ».
            En filage, le film revient au départ, ces images s’y reconnaissent… il prend le temps pour
sélectionner des plans à supprimer. Il affirme ainsi sa date de re-naissance, en 1995, au départ du père.
(Re)trace très décisivement s’achève sur des images de vacances avec la mère très aimante et aimée
qui aime les temps de fête, avec la sœur avec laquelle il joue mi-sourire, mi-compétitif. Son film se
termine et sa vie débute en reprenant des mots du Noël de la première enfance mais devenus paro-
les de bonheur.
   (Re)trace, c’est le lieu de la confiance de soi revenue par la confiance en l’écriture vidéographique.

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Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus                                                          53
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