Page 57 - catalogue 2017
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5. Cinéma ABC Projections



entendu ; elle se disloque en larsen et aigus aux bruits parasites type émission analogique.
Cependant, en explicit, la voix reprend la langue vernaculaire et s’adresse directement à un auditeur. Elle ne fait
pourtant pas table rase du discours mêlé, mais elle assied la reprise de son territoire dont elle reconnaît la dualité.
Tout au long, les images footage et les paroles rapportées sont aspirées par la force des fgures mythiques ainsi le
Tikbalang règne-t-il subrepticement ; il attire le duo amoureux en calèche à cheval devenant voiture sous l’explication
over du passage de l’animal au cheval fscal, il retient l’intrépide élévation d’un cheval par des cordes, pour le
transborder du quai au navire… et la mer s’imprègne de la pensée de la Sirenas.
L’enchantement nommé se fraie dans les faits comme dans la fction ; la pensée philippine reconnaît ses liaisons
avec ce passé colonial mais elle les embarque dans une nouvelle écriture et composition de soi.

Simone Dompeyre

JiSun LEE, Monologues dialogués, 4min48 (Vidéographe, Corée du Sud)
Des allumettes, douées d’une vie aussi prégnante qu’éphémère,
s’enfamment avant de tomber à terre pour leur extinction
complète. Comme le paysage dessiné par les fammes de petites
allumettes fragiles, les souvenirs brillants du passé arrosent le
corps, où s’emmêlent la terre physique et le monde psychique.
La lumière s’absorbe dans le noir total de l’inconscient riche des
choses oubliées. Sur l’image d’un paysage mystérieusement animé
se croisent deux voix. L’une prononce des phrases d’oubli, l’autre
celles du souvenir. La voix de l’artiste avec son grain, sa tessiture,
son accent alterne en divers modes, parallèle ou plus lié, avec
celle de la psychologue, les deux monologues s’entrecroisent, se
font écho, s’efacent et se suivent et se font duo.


Muriel MONTINI, Les Chemins Bleus, 8min (Fr.)
« Une succession d’actes réels qui s’enchaînent avec l’absurdité magnifque
du rêve. »
La voix, il y a la voix à la tessiture et au grain si particuliers… celle
que le cinéphile nomme Cocteau pour l’avoir entendue en amorce
de ses flms, en voix over ou diégétique. Celle d’un Cocteau qui
veut atteindre l’invisible et qui le poétise ; un Cocteau qui traverse
les miroirs de la mort, porté par le désir du désir.
Les Chemins Bleus viennent de sa géographie, celle intime des
Enfants Terribles - réalisé cependant par J.P. Melville - celle où la
sœur dévorante pousse sa rivale amoureuse de Paul, son frère,
qu’elle aime aussi, à s’y engager pour le trouver fragile aux portes de la mort.
La voix de Cocteau rejoint ce flm-ci de Muriel Montini, en contrepoint ; elle suit un homme, étranger au lieu qu’il
hante ; son imperméable beige le détache de l’esprit printanier des autres promeneurs de ce parc. Parc parisien
bordé des immeubles haussmanniens, parc de verdure où on paresse ou on court hormis lui qui déambule. Son
détachement au monde du réel est plus encore marqué par l’efet de doublement du champ qui s’interpénètre : efet
miroir qui fait entrer chacun des espaces dans l’autre, qui scinde l’homme ou l’avale ou le dédouble. Qui transforme
aussi les lois de la végétation, telle branche doublée devient un grand V, barrant la réalité, cela calmement sans
provocation de crainte ou de tremblement.
Les chemins bleus désignés en incipit, y sont décrits comme enneigés mais aussi comme intérieurs, la vidéo
éponyme y décrit un extérieur boisé emprunté comme un passage sans fn.
L’homme continue à avancer sans avancée, il passe et repasse à travers les mêmes bosquets, la même grande
pelouse, dans ce constant passage d’un autre monde que lui seul percevrait.
Dans ce parc, le miroir flmique enrichit le monde de sa double nature et la voix d’outre-réel guide l’homme qui sait
entendre. Le lieu perd ses critères de situation : il a franchi le miroir, il a emprunté la traversée du miroir, topique de
l’œuvre de Cocteau, censée entraîner dans plus vrai que le réel, censée ouvrir à la vérité.
Le temps n’y a désormais plus ni avant ni après, il tourne sur lui-même, parfois dans l’envolée baroque – est-ce
Torelli ?- d’un orchestre à cordes de la bande du flm originel mais pour son tournoiement non pour un achèvement.
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