Page 61 - catalogue 2017
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5. Cinéma ABC Projections



d’un camion puis plus bucolique sous la branche d’un saule-pleureur. Une voix féminine récite des adages donnés
comme aphorismes « on ne peut vivre sans manger / on ne peut conduire sans volant / on ne peut pas faire la
Révolution sans lire Mao ». Lei Feng assemble les deux preuves, alors que le fondu enchaîné entraîne à la lecture
de ce qu’il écrit, grâce à un gros plan ... la vérité banale s’avère une prescription, un précepte à suivre absolument
selon la conclusion du jeune homme « j’ai compris (...) je veux être une vis qui ne rouille jamais ».
Cependant le noir et blanc de cette hagiographie est suivi d’une série d’images fxes, type carte postale avant un
travelling sur des immeubles contemporains. Le second moment est emporté par un chœur entonnant un chant
patriotique - « le ciel du monde libéré » - en inversion du premier qui exhibe telle ou telle maison délabrée, désormais
seule dans un terrain visiblement remué pour en construire de nouvelles. Ces maisons s’imposent comme autant
d’îlots de résistance, la carte de la Chine plantée de longs clous l’assurerait à qui ne voudrait pas le saisir. Le flm
continue sa longue phrase, son explication en creux qui s’éclaircit plus encore, avec deux changements de prise
de vue successifs.
Un travelling se fraie le passage dans des ruelles, peu visibles, et où des décombres jonchent le sol, il devance
un nouvel intertitre « 3 jours après j’y retournais » et la couleur de plans incluant de beaux enfants, des adultes,
mais tête hors champ; ils regardent les photos que l’artiste leur tend, disant qu’elle tenait sa promesse de les leur
apporter. Un second temps déborde ce plaisir, pour, sans commentaire, parvenir à l’un de ces Îlots. Jing Wang suit
un homme dans l’appartement où il vit depuis soixante ans et qu’il ne veut pas quitter.
La désobéissance rassemble les deux puisque l’artiste flme ce que le pouvoir préfère cacher, et l’homme ne veut
pas davantage se laisser emporter mais elle qualife aussi le flm qui bouscule la suture de ses composants. Pour
preuve supplémentaire, sa clausule inattendue, en plan fxe décrit l’homme, toujours tête exclue du champ, tuant
de petites tortues par un coup de hachette, cette placide cruauté induit à revenir au discours implicite de Je ne suis
pas un clou.
C’était en été 2009, Jing Wang est retournée à Changsha, capitale de la province Hunan, sa ville maternelle, en Chine.
Dans un quartier en pleine démolition - reconstruction du centre-ville, l’artiste rencontre, par hasard, Monsieur Liu
qui y vit depuis soixante ans. Il fait partie de ces derniers habitants refusant obstinément de quitter leur logement.
Les promoteurs immobiliers chinois appellent ces personnes « Ding zi hu » ou « Maison Clou » qu’ils souhaiteraient
faire disparaître ... à coups de marteau !

Simone Dompeyre
Annaëlle WINAND, Le Bal, 3min (GIV, Can.)

Le bal vient d’un flm de promotion des années 1950 produit par
une compagnie d’assurances afn de vanter son efort d’après-
guerre dans la reconstruction du village de ma grand-mère, en
Belgique.
Les diférentes couches technologiques et techniques -les
images ont été flmées sur pellicule, retransmises à la télévision,
enregistrées sur VHS avant d’être converties au format numérique-
brouillent la mémoire d’un bal dont nous ne connaissons pas
les participants. Des fgures fantomatiques s’entrelacent,
s’entrecroisent et tournent, frôlant celui qui flme et le fxant, avant
de disparaître dans le noir.


6. Les Abattoirs




Richard ASHROWAN, Speculum, 17min17 (Ecosse)

Speculum le titre est intrigant, il est ambitieux, le latin afrme le désir du savoir et la nécessité d’un retour aux sources
pour comprendre et retrouver. Le flm scinde, pour mieux les rassembler en une acmé fnale au tempo très actif, ses
questionnements concernant la lumière, dans sa polysémie, la vie et l’être, en chapitres aux titres longs à la latine, sur le
fonds noir du sérieux. C’est en amoureux du travail de la pensée en actes, sans craindre méandres et recherches toujours
recommencées mais historiquement dévaluées, que Richard Ashrowan entraîne à la métaphore flée du mélange de l’eau
et du feu. Cette « conjonction » a lieu dans l’alambic ; le flm en privilégie le modèle en verre, matériau qui simultanément
laisse voir et sépare et sans jamais le décrire en entier, en fait un des marqueurs de la quête de la lumière, fondamentale,
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