Page 62 - catalogue 2017
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Projections 6. Les Abattoirs



ce qu’il assure, en fn du mouvement 6 avec les mots de John Dee :
« … la lumière est née et c’est le dernier mot », avant la variation en
prisme, fuide, fux lumineux du dernier mouvement.

Le flm exalte, dans la confance de la forme qui fonde le sens.
Il peut se prendre comme une houle audiovisuelle qui emporte
avec des chocs, lors du leitmotiv du cœur organe saisi en sang,
avec l’enlèvement selon les tempi musicaux, avec les variations
des éléments en couleurs, en positif négatif, en échelle du plan
ou avec les variations du champ en volets se chassant, en strates
rectangulaires, en lès verticaux, en carrés s’ajoutant pour reformer
l’objet. En efet, les sept mouvements distingués par les cartons portent chacun un moment de la recherche de
transformation des éléments ; ils reprennent de nombreux composants les transformant selon l’étape citée de la
transmutation. On peut rester dans la fascination. Le flm, cependant, mérite que l’on assiste (à) cet opus réféchi,
savant, qui travaille le référent, son signe et les lectures de son signe : plan nocturne de la lune / glyphe / mathématique
et sens du monde.

Le flm-recherche sémiotique, comment fait-on sens. Il se fonde sur un travail ardu d’histoire de l’ésotérisme et des
recherches de correspondance entre les choses et les signes qui les disent, refuse l’explication dogmatique en inventant
un vocabulaire plastique qui emprunte à tous les éléments, alors qu’en une subtile référence, « with the particular
assistance », Richard Ashrowan nomme, dans le générique, deux grands ancêtres, outre John Dee, Agrippa von
Nettesheim en précisant leurs dates : 1527- 1609 et 1486-1535.
Il reconnaît la marque de Dee, ses textes sont dits en une voix chaude masculine, prégnante à la tessiture enveloppante,
très loin de la voix distanciée de nombreux conférenciers. La voix connaît le Monas Hieroglyphica / La Monade
Hiéroglyphique dans laquelle Dee développe une interprétation cabalistique d’un glyphe censé exprimer l’unité
mystique de toute création, glyphe qu’il avait lui-même composé en rassemblant quatre signes : la lune sous la forme
du croissant tourné vers le haut, le soleil comme un cercle au centre pointé, l’Elemental - comme désignation des quatre
éléments - avec une croix et le feu comme un m arrondi. Dee pense expliquer toutes choses par une telle écriture dont
les signes se liraient aussi comme nombres : 1 par le point, 2 par la droite, 3 par la croix - les deux perpendiculaires
se sectionnant sur un point, 4 les quatre segments de la croix… de même les planètes… Speculum fait de ce savoir,
la base de sa propre translation plastique, en variations de lumière alors que s’énoncent les théories du nombre et de
cette synonymie généralisée.

Ainsi un calcul s’énonce-t-il le long de l’énonciation de lettres, il est donné comme naturel, allant de soi, alors que L
est dit 50, V 5 et X 10, ce qui correspond, en efet à la numérotation latine, cependant le rapprochement de ces lettres
dépasse le résultat d’une addition, il fusionne la lumière ; la lumière LUX en latin que l’on écrit LVX puisque le U ne se
distingue pas du V dans la graphie romaine en majuscule.
Cette assurance de la puissance liée de la lettre et du numérique soutient la précipitation des choses du flm, convoquées
grâce à la lumière dans leur rapprochement par une série d’opérations mathématiques. Dire le chifre s’avère performatif,
car ce qu’il signife advient iconiquement. Dire le mot entraîne la forme physique.
Dans la même recherche des concomitances et du saisissement de l’univers, Agrippa von Nettesheim, de la lignée
des ésotéristes, occultistes ou mages – dont il serait dommage d’oublier qu’il défendit la femme, rappelant le rôle de
Marie comme il défendit Eve née au Paradis dans De la noblesse et préexcellence du sexe féminin - décrit des «carrés
magiques», des « sceaux planétaires » censés capter la vertu des planètes correspondantes ; il calcule divers tableaux
de correspondances à partir du principe néoplatonicien selon lequel « chaque monde inférieur est gouverné par un
monde supérieur et reçoit l’infuence de ses forces » ou en termes hermétiques, « tout ce qui est en bas est comme ce
qui est en haut » ; les trois sortes de mondes, l’Elemental, le céleste, l’intellectuel monde des démons ou des anges qu’il
distingue, ne sont que pour s’interpénétrer quand lui a, même, pensé communiquer avec les anges. La bande son mixe
des sons mondains à certains enregistrés par la NASA et autres sources du réel.
Une absence du nom étonne quelque peu, celui de Bacon puisque son spectre vogue, puisque son siècle, le XIIIème
s’avère un siècle des encyclopédies, avant celui dit des Lumières, puisque les Speculum s’y détournaient de l’explication
par les Écritures sacrées au bénéfce de l’expérience et des sciences naturelles et que lui, fut parmi les premiers à
reconnaître la pratique comme fondement du savoir, à penser le chaudron des expériences comme l’indispensable lieu
de la science - alors si proche de l’alchimie. Bacon écrivit -dans le latin topique des savants- Sine experientia nihil
sufcienter sciri potest / Sans expérience rien ne peut être réellement connu alors que le projet de transmutation de
l’or n’étant que la métaphore ultime de la quête de la connaissance, de la lumière de la compréhension… Spéculation
mentale bien plus que fnancière.

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