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Eugenia GORTCHAKOVA
Process
L’artiste joue du processus et assène son argumentation.
De : MM
Objet : STRICTEMENT CONFIDENTIEL
Date : 27 janvier 2011 21:48:31 HEC
À : Milonov
C’est la propre mauvaise conscience de tout un chacun qui rejaillit dans l’indignation envers la trahison d’autrui.
La trahison peut aussi être instrumentalisée dans la lutte pour le pouvoir.
L’essence du nationalisme des groupes extrémistes réside dans la haine farouche envers le système : libéra-
lisme/démocratie/capitalisme. Le révolutionnaire, le nationaliste pense que sa mission réside dans la
destruction du système.
Les racines de ce mouvement sont bien visibles. La libéralisation de la politique et des médias a mobilisé
l’opinion publique sur quelques thèmes. La renaissance de la mémoire historique a éveillé dans une société,
soudainement libérée, une pluralité d’opinion et de nouvelles valeurs. C’était déroutant, toutes les facettes de la
vérité officielle furent balayées. Toutefois la plus forte mobilisation contre « l’état soviétique » vint des mouve-
ments nationalistes. Le caractère contradictoire des deux principes fondamentaux de la fédération de Russie,
le principe national-territorial et le principe administratif-territorial, soulevait de nombreux problèmes nationaux.
Le nationalisme n’était pas seulement l’ expression d’une appartenance ethnique.
Dès le début c’était la forme dominante du mouvement démocratique de toute l’Union soviétique. Après 70 ans
de stalinisme qui étranglait toute pensée indépendante, la société russe se trouvait profondément irrationnelle.
Ainsi pouvait-on la mobiliser en premier lieu avec les mythes du passé. Les principes fondamentaux de cette
nouvelle société étaient l’accentuation du passé presque oublié et la négation du présent.
La méfiance envers une idéologie et une politique des partis formelles a conduit à une structuration vague de
deux caractéristiques identitaires : d’un côté la négation du communisme soviétique, de l’autre l’affirmation de
l’identité nationale. C’était là tout ce qu’il restait en terme de mémoire historique après le vide laissé par le
marxisme-léninisme. La religion revêtait fréquemment une importance majeure.
Ce nouveau nationalisme russe provoqua une réaction particulièrement forte des nationalismes anti-russes des
autres Républiques. Comme par le passé, ces derniers s’affrontèrent à plusieurs reprises.
Quelques nouveaux partis extrémistes et religieux émergèrent. Pour survivre ils devaient maintenir leurs
adhérents dans la peur d’une trahison des idéaux religieux, afin de les manipuler plus facilement et d’asseoir
leur pouvoir.
Le parti nationaliste « Limonka » n’est pas une « grimace anodine de la démocratie ». Il spécule sur les
difficultés de la transition d’un état passant de la société étatique à une société ouverte et informative et prê-
chant sous couvert du combat pour la morale, la foi et la justice, le retour vers le passé, la haine de celui qui
pense autrement, le militarisme.
Après avoir analysé les données de l’accusation, les experts ont conclu que les preuves sont fausses et qu’il n’y
a pas eu de délit.
Nous appelons le tribunal à reconnaître la culpabilité des accusateurs et à interdire cette organisation
extrémiste.
PS. La signification du terme « Verrat » (trahison) a changé : en démocratie le concept de « trahison » s’est
adouci. La société actuelle prône la compréhension, les raisons du « traître » qu’elle considère souvent non
seulement comme coupable, mais aussi victime. La majorité se veut clémente et pardonne la trahison. « Dieu,
j’étais soulagé, car j’ai pardonné au traître ». Nous pardonnons et cela nous apaise. Les psychologues
conseillent de ne pas se laisser guider par des sentiments de vengeance, d’analyser la situation calmement et
dans notre cas d’examiner à la loupe, les propres valeurs et idéaux et tenter de comprendre pourquoi le
« traître » a agi ainsi.
Eugenia Gortchakova, traduction de Jacqueline Levy
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