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Carine PAROLA
Le Retour Au Pays
Le Retour Au Pays se dévoue à ceux que le poids social pourrait empêcher d’être ce qu’au
tréfonds d’eux, ils vivent d’être. Ceux qui ont subi de cacher la fidélité à soi, la féminité ou la masculinité
non apparente, avant d’exposer, par-delà les règles, ce corps-là.
Certains ont vécu les affres de la quasi clandestinité, tels des sans papiers, tâchant de ne pas se faire voir
dans la foule alors que certains gestes et mimiques les signalent. Ils ont inventé des manières d’être, des
bribes de phrases emmêlées sans que le lien avec celui qui les profère le restreigne à un individu,
prouvant que leur réaction n’est pas due au caractère de l’un ou l’autre, que ce n’est pas de l’ordre de la
psychologie individuelle mais de leur genre- hors-genre puisque difficilement reconnu par la société.
Un « je » expliquant d’emblée, qu’il a opté pour le « trou noir », la coupure avec son passé, occupe
l’espace sonore avant toute image. Un « je » qui décide. Très vite, cependant la métaphore de la dure
exposition face à l’autre occupe le visible; l’écran opte pour le triptyque de l’analogie entre trois personnes.
Plan rapproché poitrine, elles s’identifieraient si elles ne cherchaient à se protéger de la lumière, trop forte,
irradiante de l’énergie sociale. Ces trois personnes se cachent derrière leur main tendue.
Elle ne se « voient », ne s’accordent à se laisser voir qu’avec l’adoucissement de la lumière…
La structure de la vidéo répond à cette conquête de la parole de soi ; noir rapide, plan fixe, quasi immobi-
lité genre photo d’identité, des trois protagonistes qui jamais ne quittent l’espace du lisible, ne se permet-
tant que le mouvement induit par la pose longue, en une prise, soit quelque inclination du visage cachant
leurs traits. Decrescendo de la lumière sur la parole gardée en gros plan alors que jamais leurs lèvres
n’ébauchent de prononciation. L’enregistrement séparé est monté dans le projet de les différencier dans
leur même « avancée », plus ou moins âpre sans cependant les désigner; l’un oublieux de son passé,
l’autre n’ayant pas vécu de transphobie, l’une intellectualisant son parcours, l’autre explicitant clairement
son changement et son désir. Ils ne sont pas les « trans », ils sont.
De part et d’autre d’une femme jeune au tee-shirt décoré d’un cœur, deux hommes jeunes dont l’un barbu
porte des ongles peints en noir et un bracelet de cuir, regardent face à eux. Très vite, leur propos porte la
proposition du film : la transidentité.
Le retour au pays, dans sa simplicité, évite les écueils du sensationnalisme, sans crainte des mots, portant
avec telle phrase « au-delà de (la question de) l’entrejambe ».
Les voix diffèrent : une voix plus aigüe, une plus grave, une entre deux tessitures, alors que le processus
n’induit pas à rapporter les mots à celui-ci ou à celle-là mais en parfaite adéquation avec ceux qui font « la
traversée du masculin et du féminin ».
Les baigner dans l’obscurité n’est pas les rayer de leur vie, plus à eux encore que pour tout un chacun puis-
qu’ils sont devenus consciemment. Malgré les difficultés des papiers d’identité, du travail encore plus
difficile à trouver, ils ne sont pas dans la victimisation, ni la rancœur car ils ont accompli ce qu’ils sont.
Simone Dompeyre
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