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Carine PAROLA
Le retour au pays
La vidéo est ici avant tout la chronique d’un éclairage : trois personnes, trois écrans simultanés,
deux hommes apparemment, entourant une femme apparemment.
Chacun parle de son origine, aveuglé par la lumière qui le montre dans son autre identité actuelle, comme
s’il ne pouvait supporter de venir à la lumière de ce qu’il est aujourd’hui, comme s’il était découvert dans
sa véritable identité, dans celle de son sexe ou genre d’autrefois. Une fois qu’il aura expliqué ce qu’il est
chacun s’effacera dans l’obscurité comme si, devenu un quelconque, un individu apaisé avec lui-même,
chacun sera alors devenu ce qu’il est, cet autre à soi-même.
En retournant à son pays et à son identité d’origine, la personne trans s’aperçoit qu’ils lui sont devenus
autres. Mais c’est aussi l’aspect bienfaisant à contre-courant paradoxalement de l’heimat, du foyer qui lui
confirme que sa véritable identité est bien celle d’aujourd’hui, que son familier est ce pays autre qui est
devenu sien. En un sens, la personne trans parvient à cette vérité dont nous sommes incapables, les
autochtones : pour nous aussi, le pays a été et reste étranger ; la connivence est une légende qui
anesthésie les mille conflits d’autrefois, les menaces lancées de tout plaquer, les rêves et projets du grand
départ.
C’est ce rapport qu’expérimentent les migrants qui fondent une nouvelle vie dans l’autre qu’ils oublient en
s’intégrant, en s’appropriant le pays ou bien à l’inverse en pratiquant le communautarisme dans le mythe
d’un pays des délices alors qu’ils l’ont quitté justement pour sa violence et ses déchirements. L’autochtonie
est une migration oubliée comme telle. Seule la personne trans peut en garder le souvenir, elle seule – à
moins d’avoir choisi une phalloplastie ou une vaginoplastie qui le rend identique à son genre désiré –
seule elle, le vit dans son corps.
Pierre Dompeyre
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