Page 83 - catalogue_2012
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Emilie FRANCESCHIN
A vos pieds, performance à écrire
Une femme se roule à nos pieds
Parvis du métro Jean Jaurès, un groupe est arrêté, il regarde à l’intérieur d’un espace qu’il crée
lui-même, debout, en s’approchant de ce qu’il regarde. De voir ce groupe aussi attentif, des passants
s’arrêtent,(s’)interrogent parfois hautement saisis de ce/ celle qu’il voit.
Une femme se roule à nos pieds. Une jeune femme, belle, volontairement BCBG – chemisier blanc,
bottes à talons vernis mais la jupe est de couleur rouge – se roule à nos pieds et joue des connotations de
la phrase qu’elle produit avec son corps. Elle rampe, se déhanche devant nos pieds et écrit en bandes
rouges – rouge sang, rouge sexe ? du moins en bandes rouges déchirées avec ses dents – écrit peu à peu
qu’elle, « je »/« je ne suis pas à vos pieds ».
Sa performance s’achève en refermant, en recourbant toutes les connotations qui ont pu se développer
durant le temps de sa réalisation sur le rien, sur la négation de l’acte même qui a été acté devant nous :
« je ne suis pas à vos pieds » même si j’ai passé mon temps à me rouler devant vous pour vous l’écrire.
La différence de la performance avec d’autres formes plastiques de représentation comme le théâtre ou le
cinéma est moins dans les moyens, dans le dispositif matériel que dans leur sens. Dans le théâtre ou le
cinéma, l’histoire réalisée – quand elle n’est pas purement allégorique - renvoie à des situations
antérieures dont la représentation - re-présentation, puisqu’on en rejoue la présentation, par la focalisation
sur tel ou tel élément, par le ralenti ou l’accéléré, donne à comprendre ou au contraire glisse des parts de
mystère voire des contradictions. On sait que l’instruction juridique s’en est inspirée en développant comme
méthode de validation d’une enquête la reconstitution du délit.
A la différence la performance ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même : elle est l’acte de sa réalisation,
dans le présent de cette réalisation.
Ainsi la performance d’Emilie Franceschin : l’esprit s’en va machinalement, se laisse prendre au jeu des
références, des associations, des connotations avec des situations antérieures alors qu’il est sans cesse
ramené au présent de la question : « que fait-elle, qu’est-ce qu’elle est en train d’écrire ? ». Jusqu’au
moment où le présent se referme sur la contradiction de sa conclusion : « je ne suis pas tout ce que je
viens d’être devant vous ».
Le présent rappelle à ce qui vient d’avoir lieu : « là, maintenant, depuis tout à l’heure quelque chose vient
de se passer » et rappelle qu’il ne le doit qu’à lui-même.
Il le rappelle en nommant ce qui vient de se passer : « je ne suis pas à vos pieds ». Et en un sens la
performance d’Emilie Franceschin, ce jour-là, a performé aussi le sens de la performance.
Pierre Dompeyre
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