Page 92 - catalogue_2012
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Lucie KIM et Felix VON DER WEPPEN


Kontinuum
OU quand une œuvre entraîne au-delà du plaisir esthète. La
réflexion sur la relation entre les composants du monde, humains,
géologiques, réclame des machines à voir en deçà de l’œil humain
pour une visibilité plus explicite. Les relations entre ces éléments
structurent la compréhension de l’existant lorsqu’elles sont dévelop-
pées au sein d’un réseau ; ainsi les modifications sous-jacentes de
l’organique qu’on le nomme amibe, molécule ou autres notions
scientifiques, rejoignent les modifications du corps dansant, en mou-
vements liés, pensés, mais aussi plus largement saisissables, celles
de la mer, des vagues, de l’onde.
Kontinuum la boucle, se dit par définition. Le sans fin, le sans coupure débute, cependant, par trois cercles
noirs, sur un même carré blanc ; simplicité des deux formes porteuses des connotations inverses et
complémentaires, qu’il n’est même plus utile de rappeler ; simplicité du noir et blanc qui distingue d’autant
plus les contours nets et les sépare. Aussitôt, un corps léger renverse cette lecture puisque le plan inclut
ce petit cercle comme peint au sol, fraîchement peint ou simplement couvert de pigment noir malléable,
volatil et la prise de vue en plongée implique un regard directif.
Plus encore, ce renversement de l’échelle accueille une danseuse en justaucorps ; ce vêtement en rose
léger s’accorde avec la carnation pâle de la jeune femme qui touche du pied, puis marche sur le cercle ;
elle meut légèrement son corps tout en le maculant de noir jusqu’au visage.
Le montage ne se réduit pas au plan moyen de la reconnaissance de sa gestuelle mais s’approche, puis
s’éloigne jusqu’au plan de demi-ensemble en exhumant le projet… le cercle a perdu sa définition, pertur-
bé, sans plus de circonférence, il déborde la forme pour l’abstraction à grands traits. Ce n’est pas un retour
aux anthropométries de Klein, certes le monochrome dans les deux cas, devrait éviter d’introduire dans la
peinture un élément extérieur, comme l’interprétation psychologique d’une forme, mais en diffère la maniè-
re du « pinceau humain » qui se frotte au sol chez Klein, pour éviter la ligne et privilégier la couleur.
La danse se rythme sans fureur, régulièrement puis en mêlant chuinté et tapé, respectant le continuum,
entendu comme évoluant continûment, en conservant une donnée commune avant le silence partagé.
Le corps n’est pas seul, le continuum implique d’autres analogies : la mer et la plage sur laquelle se défont
les vagues, ou le ressac dessiné à grands traits, et le micro-organisme, l’interne du corps, où des « brin-
dilles » mouvantes, s’accrochent, se détachent dans les mêmes dessins vibratoires… jusqu’aux trois plans
finaux, de même durée, en partage de l’espace selon une diagonale pour des traces ondulatoires en attes-
tation de l’écosystème du vivant.
Le simple cercle n’est pas un cercle simple ; il se modifie comme toute matière organique dans un
espace et en un temps rendus communs. Ainsi le titre tire vers la pensée, celle qui provoqua des
bouleversements dans la compréhension du monde au début du XXème siècle dans le domaine de la
physique, comme dans celui de la philosophie. L'espace-temps y devenait la représentation mathématique
de l'espace et du temps comme notions inséparables, s'influençant l'une l'autre, selon la théorie de la
relativité restreinte que l'espace de Minkowski modalisa, et qui fut renforcée par celle de relativité
générale. Dès lors, la mesure du temps peut être transformée en mesure de distance, ainsi le temps, c'est
de l'espace ou plutôt un mouvement, dans l'espace.
Un fait réclame un temps et un espace qui dépendent du référentiel, et même s’il reste difficile de penser
que le temps n’est pas le même suivant le référentiel - le point de vue - dans lequel on le mesure, le temps
n'est absolu, ni l'espace. La longueur d'un objet peut être différente selon le référentiel de mesure ainsi les
cercles petits deviennent espace où peindre de ses pieds et mains, ainsi le large océan ne déborde pas
l’espace écranique identique à celui du microvivant.
Et ce, même si, dans et par la vision humaine au quotidien, espace et temps sont si différents, comme le
corps humain diffère de ce dans lequel il peut plonger et de ce qu’il pourrait ingérer.
Kontinuum peut aussi s’appréhender sans de telles considérations. Boucle assurée.
Simone Dompeyre

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