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Jürgen ZWINGEL
Huis clos
“L’espace lit est le sujet des séries Tour et Chambre. Socle de l’intimité, témoin privilégié de la
moitié de notre vie, le lit transpire nos états d’âmes : angoisses de nourrissons, rêves d’enfants,
cauchemars, fantasmes. Havre de paix et lit de repos, espace de distraction et de réflexion, lieu solitaire
et de jouissances partagées, place secrète, champ de bataille des tourmentes, lit de mort… autant de
scènes en huis clos dont le photographe se fait ici l’écho. Chaque tableau photographique réalise un tête-
à-tête avec des souvenirs d’enfance, notre héritage religieux ou le poids de l’histoire.”
Pas d’autre méthode pour y voir que la plongée absolue, la tour est sans ouverture, étroite, le
matelas en occupe la surface, les parois de pierres disent son origine ancienne. La chambre s’élargit
seulement pour une ou deux lampes et une ruelle de lit restreinte. Pourtant s’y déclinent la vie et le
passage.
La lumière passe du jour à la nuit quand l’électricité se rend nécessaire ou quand la lumière bleutée
d’écrans de télévision transforme la chambre en lieu d’un culte inconnu.
S’y déclinent aussi les motifs, conatifs, à chaque fois, d’une couleur de sentiment, ils différent voire
divergent. La palette passe, en changeant de photo, de l’angoisse au sourire.
Leur proximité d’exposition obéit au projet de série - celui-ci investissant “chambre et tour”, pour
des variations de l’usage de la chambre dans la même tour - elle fait, par là, de l’image visuelle fixe, un
plan moins autonome que son statut photographique l’induirait. Chacune motive le regard par elle-même :
l’axe focalise sur le matelas d’autant que les lignes parallèles accrochent décisivement le regard, de même
que la tache de sang ou la jambe de fer… mais elles provoquent une relation quasi narrative entre elles.
Ainsi des ailes que notre fonds culturel donne aux anges, ailes superposées sur le matelas, ou
repoussées au bas du lit, métaphorisent le passage du non sexué à l’âge adulte puis à la relation amou-
reuse. La literie de la chambre, draps froissés, oreiller bousculé, est tachée au centre du drap du sang –
des premières menstrues ou plutôt du dépucelage puisque le vêtement de nuit court git au sol.
Un lit entouré de deux lampes à lumière tamisée, dans le même état d’utilisation préfère une
synecdoque plus explicite, de part et d’autre des tongs de petite et grande pointures, des plaques de
préservatifs et des pilules signifient l’acte sexuel. Trois images, trois étapes de la vie voire quatre si le lit
avec télévision implique l’après-désir ou la solitude.
La tour raconte une autre histoire, le matelas nu est surmonté d’un crucifix, taille domestique qui
lui fait face. Ici une tête de biche taxidermisée comme trophée de chasse, là un portrait noir et blanc dans
le halo des photographies du début du XXème siècle encadré, là une horloge et là un mur nu.
Sur ce matelas, est posé un de ces papiers dorés dont on entoure les victimes d’accident, d’incendie, de
catastrophes, il est froissé mais sans le corps ; de même une jambière de métal, prothèse pour un grand
blessé de guerre ou mémoire des armures ancestrales, réunit au-delà des temps, la mutilation
conséquence de cette barbare occupation des hommes ; cette vie que la société a perturbée, abîmée avait
pourtant commencé sous les auspices du bonheur ; l’ours en peluche avait droit au lit, sous la pendule des
heures.
Ainsi des vies se disent dans la litote et la photographie se fait biographie(s), le –s car
l’espace non localisable, la chambre non identifiable laissent la place au regardeur pour y chercher des
signes lui répondant.
Simone Dompeyre
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