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Photographies Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 95


Alain BRENDEL, L’oeil qui rêve, Fr.
L’image nette et colorée abonde et se répète quotidiennement.
A première vue, elle est brillance et impact, elle est mimétique et
magique, elle a pour fonction avant tout de séduire le regard. Les
images d’Alain Brendel, en revanche, prouvent d’autres qualités et
provoquent d’autres effets, leur composition a une force distincte.
Leur force spécifque ne capte pas seulement le regard de celui
qui les contemple mais le rend tout entier captif.
Elles sont faites à coups d’ombre et de lumière, pas de beaucoup plus.
Assez pour nous placer sur un mince fl entre l’abîme et le néant. Ce
sont des images composées par la fusion de formes diluées au travers
desquelles nous percevons des corps humains déformés, des corps
qui ont perdu toute la chaleur de la chair.
La transition vers des formes qui perdraient lentement leur défnition
est actuellement - j’insiste - une proposition atypique. L’intensité du
recul qu’elle provoque n’a d’égale que l’étonnante et mystérieuse
attraction qu’elle exerce.
On doit parler d’une dégradation créative des formes, soumises à
des processus plus nerveux que cérébraux. Les fgures rythmiques
qui hantent les images de Brendel murmurent des mélodies qui
évoquent, ici, les silhouettes peintes du Gréco, là, les personnages
littéraires de Poe. Devant l’existence évanescente de ces êtres, dont notre intellect déduit le quiétisme,
notre corps éprouve une sensation d’activité et de vélocité qui n’est cependant pas provoquée par l’impres-
sion de mouvement induite par ces formes mais parce ce qu’elles ont mis quelque chose en mouvement en
chacun de nous. En termes plus clairs, nous sommes devant des fgures qui nous secouent violemment
car elles se situent à mi-chemin de l’étoile, de l’oiseau ou de l’atome.
Nous sommes en droit de nous demander à quelle
terreur ou à quel désir est en proie l’esprit de Brendel.
Cela dit, ses fgures ne renvoient pas tant à des illus-
trations d’instants hallucinés de leur auteur qu’à des
hallucinations en soi. Ce qui ne doit pas nous laisser
penser que ce que nous voyons dans son oeuvre est
éloigné de ce qu’habituellement nous ressentons
dans notre vie. Il s’agit justement - et j’ai l’intuition
qu’il ne s’agit que de cela - de nous-mêmes, de
nous ici même, de nous maintenant même.
Cependant et sans aucun doute, de quelque chose de
complexe. De quelque chose qui échappe à la différen-
ciation des genres, des sexes, des ordres et des règnes.
Dans ces hallucinations, nous ne voyons pas ce que
nous sommes - tels qu’on nous a toujours dit que nous
étions - mais d’autres éléments qui nous composent
ici et maintenant. Déformations animales, grimaces
végétales, accès minéraux.
- 3. Prép’art -
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