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Cinémathèque de Toulouse  Installations

Ceux-ci ont fondé les topoï que l’opus entraîne en un morceau dont le tempo s’emballe –
alors la métaphore pour désigner une œuvre autre que musicale devient littérale
puisque chaque film de Johanna Vaude est partitionnel et orchestral, virtuose
variation d’une même idée-mère.
Selon l’écriture du western, la géographie se dessine première dans le plan général
implantant la diégèse : grand canyon, espaces arides aux plateaux surplombants ;
les hommes s’y inscrivent en point mouvant mais le gros plan focalise le colt qu’une
main « caresse », la silhouette précède le visage sous le chapeau dont la chute au
sol est synonyme de mort pour le cowboy – le costume avec arme fait l’homme.
L’homme qui tire, qui tire debout, en selle, à genoux, allongé, dans la paille, les
herbes, la poussière, depuis un cimetière, l’homme qui va à cheval parmi autant de
déclinaisons des lieux désignables et qui chute de même.
La rue n’est pas le lieu de passage mais celui du duel ou de l’attaque par une bande,
la campagne n’est pas le lieu de culture mais de chevauchée et de chasse et dans un
dernier phrasé celui des Indiens avec le retour du visage du sage, du sachem et les
chants de guerre et de danse transformant la bande-son jusque-là avec guitare et
galops tout aussi topiques.
Cela le titre l’augure doublement programmatique : le « shoot » le tir or les couleurs
annoncées débutent avec précisément les tirs  ; un tir  : une couleur puis toutes
ensemble au bruit quasi de mitraillette pour la polychromie éclaboussant le champ.
Le shoot : la prise de vue, le tournage qui, ici, s’avère prise au sens de capture de
la prise de vue déjà prise, tir multiple de cette appropriation filmique : du genre
narratif  – une espèce de l’expérimental-plasticien – autre « espèce ».

                                                   Color shoot ajoute à cette polysémie, celle
                                                   de la prise de substance licite puisque
                                                   produite par les couleurs, hypnotisante –
                                                   on comprend le doublement du gros
                                                   plan du sachem faisant mouvoir le
                                                   fumée du calumet, vers la vision autre.
                                                   Feux de couleurs irréalisant les scènes,
                                                   revenues à leur état de films-faits et non
                                                   d’images du réel… Le regard n’adopte
pas la ligne introspective des portraits des réalisateurs ou acteurs  – d’autres
œuvres de Johanna Vaude, privilégiant Scarlett Johansson ou Leonardo DiCaprio,
secrétaient un visage sous-jacent aux jeux de rôles et aux directions de films de
ceux-là, qui traçaient le lien entre toutes les figures qu’ils « faisaient » sur l’écran ou
les traces du hors-cadre persistant dans le champ. Le western lui-même y trouve un
autre regard comme l’hommage à Sam Pakinpah avec le film éponyme et à Cimino
avec The End of Innocence.

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