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Musée des Abattoirs Performances
C’était la fonction des trois films projetés à même le mur, immense. Ils déployaient crédit photo : Anne Murray
les lieux de la langue : Ruviu-Biancu-Nigheddu, la Sardaigne ancestrale de l’artiste
et invitaient d’autres mythèmes. Femme/Sisyphe portant le grillage formant un
énorme globe – le grillage de l’enfermement – jusqu’au sommet d’où il retombe
et dégringole à jamais mais prise par l’espoir que la liberté sera un jour conquise /
Femme nue chaussée de talons fins, malencontreux pour ce travail harassant
puisqu’ainsi qu’une bête de somme, elle tire l’araire lourde tâchant de creuser le
sol aride pour des semailles improbables des damnés de la terre ou déesse-terre
malmenée par les hommes qui rendent aride la terre/Poupée engoncée de robes
belles brodées et lourdes, elle est enterrée ; seule la tête émerge pour le regard
ténébreux et volontaire d’une insoumise. Elle tire aussi l’œil magique, le ex-voto de
sa bouche et de la Sardaigne poignent les harmoniques longtemps après qu’ils ont
coloré l’espace de la première déchirure en rouge.
Plus proche des modes politiques
actuels, la revendication est prête sur
trois pancartes, en lettres découpées à
la manière d’une lettre anonyme, en
couleur et taille différentes, mais ici,
le texte féministe est très nettement
identifié : Simone de Beauvoir. Chiara
clame son adhésion – en silence – mais
en brandissant les cartons rédigés en
anglais, puis un seul en français au plus
près du corps, l’habillant : « N’oubliez
jamais qu’il suffira d’une crise politique,
économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.
Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Et de saisir un drapeau noir de l’anarchie : « Ni dieu ni maître » ; cela son action
l’exprimait, puisque menée dans l’inversion de l’achèvement, dans le déchirer et non
le produire, dans la non-marchandise du corps, dans l’annulation du rôle imposé.
Si l’action parlait au nom des femmes, Chiara, en hors-cadre, la dédia à Nasrin
Sotoudeh, avocate des droits des femmes, inculpée par le pouvoir des Mollahs et
emprisonnée pour « incitation à la corruption et à la débauche » dans un pays où
refuser de porter le voile est un délit condamnable et effectivement condamné.
Auparavant, elle avait brisé en trois gestes impétueux, violents les bocaux et c’est sur
les débris de verre et les chiffons déchirés qu’elle porte sa détermination.
En rouge/blanc/noir, c’est pleinement habiter son corps : son corps en femme.
Simone Dompeyre
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