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Performances                              Musée des Abattoirs

couvrit la poitrine de ses mains, en mise à nu d’une femme soumise à laquelle on
avait « découpé les parties de moi », Chiara s’approprie le geste de découpage de
l’image désirable de la femme, dans l’anéantissement même de l’image de la femme
supposée fragile et faite pour recevoir des coups.
Les trois bocaux dessinaient un protocole de trois déchirures en accord avec
l’annonce du titre en trois mots  : Ruviu-Biancu-Nigheddu correspondant et dans
l’ordre à la couleur respective des trois vêtements : restait le noir, celui de la haute
culotte dépassant la taille et emboîtant fermement les fesses. Un sourire d’appel
vers le public, ciseaux déjà, en direction du sous-vêtement, Chiara, en fermant son
sourire, réfrène très vite ce flagrant délit d’en voir plus, de voir le corps privé nu,
alors que c’est l’entre-deux corps/je corps social. La performance ne quête pas la
complicité sensuelle voire sexuelle.
Elle fait geste « déplacé » dans l’orbe de ce que doivent faire les femmes, regard
adressé au public, elle glisse sa main dans le sous-vêtement et en tire un ruban
adhésif rouge. Là où Carole Schneemann, en 1975, pour Interior Scroll extrayait
de son vagin une lanière étroite portant des textes féministes  ; elle, c’est de sa
bouche qu’elle déroule le lien noir, la déliant et se donnant ainsi la possibilité de
la parole et du ruban récupéré, elle barre certains mots du poème tracé sur le
mur du musée jusque-là en partie occulté par ses trois vidéos performatives de
Sardaigne. Non seulement, elle affirme l’implication du lieu de la performance et
de la performance en ce lieu, mais elle transforme le texte, s’appropriant l’espace
par cette reconstruction poétique et se disant libre en son corps : elle r/écrit.

              jeu de l’amour impossible

                     caresses ultimes des tissus noirs

                     sans autre frustration

              qu’un corps inaccessible

                                          Elle crée une mythologie du quotidien,
                                          des actes simples  – Acconci désignaient
                                          ses actions par « tasks », les considérant
                                          de l’ordre de la tâche, en agissant
                                          les attitudes de tous les jours, en lieu
                                          inattendu ou d’autres de l’intime et des
                                          sécrétions. Cette proximité aux gestes
                                          simples que l’action transforme en
                                          faire poétique au sens fort de création,
                                          Chiara en fait sa musique personnelle
                                          en y greffant d’autres espaces de sens…

              crédit photo : Anne Murray

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