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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS

              Elles entraînent l’Abécédaire non seulement dans la variation liée aux âges, mais aussi liée aux tessitures, or
           ce faisant, des inflexions se font dans l’appréhension du sens des phrases dites. La polyphonie diversifie, en effet,
           la réception… parfois elle se plaît à légèrement la perturber quand les voix se croisent croisant les phrases, quand
           le volume de l’une se pose sur une autre plus légère. Ces « diseurs » restent hors champ, qu’ils énoncent leurs
           mots ou qu’ils chantent, en seuil final, L’Alphabet de Mozart si simple et enlevé, ou encore en chœur, une chanson
           de Philippe Katerine, « Les derniers seront les premiers » qui pour conclure un abécédaire n’est pas sans saveur,
           puisque c’est mêlées en mots que les lettres, oublieuses de cet ordre alphabétique disent.

                         Même si rarement les mots provoquent un objet, les géraniums, les herbes coupées et leur faucille,
           l’arrosoir et le long tuyau d’arrosage enroulé ont leur propre lieu d’être, tout comme les épingles à linge accrochées
           à leur fil ou les figues encore vertes à leur branche; si la citation du circonflexe rejoint la grille en fer forgé, la diction
           poursuit au-delà de cette décoration perdue parmi la végétation comme ce fer à cheval plus loin. Pourtant, le film est
           dans son déroulé fidèle à l’acception d’Abécédaire, puisque les plans intègrent objets ou fragments d’objets en forme
           de la lettre dite, dans l’ordre canonique. L’alphabet s’y dessine en éléments du réel.

                         L’Abécédaire devient jeu de piste, jeu de découverte de la lettre, à qui sait la voir. De même tel éblouis-
           sement sur fond/ ciel bleu arrête la quiétude du regard sur les objets banals et le proche que l’on ne sait plus voir…
           en leçon de chose et du regarder.

                         Le Petit abécédaire (2) dans mon jardin n’est pas leçon d’écriture mais de « regardure ».
                                                                                          Simone DOMPEYRE

                                                                   Timothée CORTEGGIANI / Nathalie GIRAUD,
                                                                   La fille aux ballons rouges, 1min, FR

                                                                                 Timothée Corteggiani et Nathalie Giraud : quatre
                                                                   mains et un iPhone pour une minute de sensibilité tendre. Fiction,
                                                                   disent-ils, pourtant la sincérité affleure dans ce dit d’anniversaire.
                                                                   Un petit mot où le prénom Mélanie se souligne, est flanqué du
                                                                   cœur naïf de l’amour; il succède au « tu me manques » tout aussi
                                                                   attendu et à des ballons.

                                                                                 L’enveloppe rouge pour l’envoi de ces vœux est ac-
           crochée à ces ballons rouges, gonflés l’un après l’autre, par une jeune fille en bonnet blanc, respirant fort. Alors qu’en
           off, se chantonne l’air de « bon anniversaire» le gros plan favorise cette préparation écriture, dessin, gonflage des
           ballons lors duquel il sature le champ, cantonnant à un fond en marbre tacheté gris, les indices du lieu. Ce matériau
           s’accorde au visage de la jeune fille, en plan frontal; elle esquisse un imperceptible sourire triste. Plus précisément
           encore, l’ouverture en plan de demi-ensemble puis d’ensemble découvre des tombes à travers lesquelles passe la
           jeune fille, avant d’emprunter les allées du Père Lachaise bordées de tombeaux-chapelles au toit de mousse verte.
           Elle libère les ballons porteurs des vœux à l’amie disparue, qui rejoignent le ciel bleu, le même ouvrait ce petit instant
           de grâce. Il est rare que le deuil soit si sobrement transmis par des pleurs en sourire.

                                                                                          Simone DOMPEYRE

                                                                     Yoann DEM, From below, 5min 29, FR

                                                                                   Une telle simple position From below, sans autre
                                                                     complément laisse le lieu dans l’indistinction. Elle devient simul-
                                                                     tanément programme à suivre, en incitant vers ce haut à voir, à
                                                                     atteindre, d’autant plus que rien n’en est dit. En effet, la formule
                                                                     désigne l’axe retenu pour un plan descriptif d’une immense
                                                                     grue orange dont le sommet déborde le champ, l’agrandissant
                                                                     encore. Rien d’utilitaire pourtant, même les deux hommes atta-
                                                                     chés, torse nu, qui s’y glissent, n’ont pas d’attitude de travail. La
                                                                     verticale multiplie les croisées métalliques, l’horizontale du bras
                                                                     de la machine est porteuse de lumières. Ce lieu qu’elle fonde,
                                                                     devient le lieu du corps acrobate, de corps en apesanteur, har
                                                                    nachés pour leur liaison à la machine.

20 C I N É M A E X P É R I M E N T A L - A R T V I D É O - M O N O B A N D E S

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