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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS

                          Le film ne triche pas. La bande son n’exalte pas la

condition humaine, elle préfère des bruits, le mode majeur, et quand

elle se fait plus entraînante, c’est en point d’ironie par l’emprunt au

film-fiction de tel ou tel phrasé, alors le plan découvre la perte : to-

mates gisant dans l’eau, immondices, hommes dans la détresse,

handicaps et mal-être…

                          Le montage - image de Developing Nation se suffit à

lui-même sans paroles explicatives; il se consacre à la reconnais-

sance de ce monde parallèle, simultané; il forme l’itinéraire en mode

de survie, du rien-faire accablant de ce sous-monde, en focalisation

successives et accumulatives d’exemples. Parfois une bribe de nar-

ration et quelques retours évitent l’effet de bout-à-bout, en approchant le montage métrique. Tel infirme cahote avec

son déambulateur, il est retrouvé filmé, dans une boucherie, après un plan de préparation de grosses galettes; le

garçon mal fagoté, embarrassé près de la poubelle est repris dans ce lieu qu’il ne quitte pas ; un homme est rejoint

par d’autres autour d’un fauteuil près d’un haut mur ; un autre se glisse sous la couverture qui enveloppe un premier

corps sur le trottoir et tel autre dort désormais seul dans le recoin de la porte ou tel autre fouille des monceaux de

sacs, ou de nourriture jetée dont il mord un fruit récupéré, tels autres divaguent dans une triste ivresse. Quelques

réitérations de chiens dormant, se grattant, redoublent ce comportement ; l’analogie des hommes avec ces animaux

errant est criante. Tel homme ne peut se déplacer qu’en se tenant le long des parois, la marche est difficile pour la

plupart. On ne s’y cache plus pour ses mictions : tel homme se contente de se tourner, un nain se contente de se

déboutonner devant une borne de voirie en plastique, telle autre – rare figure féminine- accroupie près d’un container

à ordures défèque. La rue est sans joie. Les seules lumières sont celles de feu, dans un bidon, à même le sol, de

cageots incapables de suggérer la chaleur… humaine.

                          Les oiseaux sur le lampadaire, ou traversant l’espace ne suffisent pas à égayer l’atmosphère, leur vol

est en reflet dans une flaque sale. Des balais remuent l’eau saumâtre des rigoles, ou à plusieurs tentent vainement

de nettoyer la rue de ses immondices. Le cercle du même vainc, le présent est sans joie et le futur n’est pas un temps

verbal qu’on y conjugue.                             Simone DOMPEYRE

    Dominique COMTAT,                                                                                                             19
    Petit abécédaire illustré (2) dans mon jardin,
    12min 30, FR

                  Petit abécédaire (2) dans mon jardin, le titre
    en appelle à l’apprentissage de l’écriture uni à l’amour des
    fleurs et du potager, mais s’y niche aussi l’amour porté aux
    textes; et ce par la bande son, en profitant de l’index de La
    Boutique obscure de Georges Perec, une de ses œuvre
    moins connues, recueil de rêves dont l’écrivain avertissait
    qu’ils étaient à très grande distance de sa vie personnelle
    et rêvés pour être écrits.

                  Gageure doublée pour Dominique Comtat qui, par son écho filmique, en réponse aux lettres de l’al-
    phabet, elles-mêmes obéissant à la fonction de l’abécédaire censé donner de simples et premières descriptions des
    lettres, compose une ode au jardin dans ce lieu qu’il désigne comme « sien ». Le paysage s’y rapporte le plus sou-
    vent, avec de rares ouvertures en plan général embrassant la campagne environnante où en profondeur du champ,
    travaille un agriculteur sur son tracteur, ou pour ce plan rapproché privilégiant cailloux mouillés et coquillages.
    Le film flotte dans cette atmosphère plaisante de l’appréciation heureuse d’un lieu simple.

                  Rarement un espace donné est favorisé par le cadrage ni motivé par le texte. Ainsi, quand deux mi-
    nutes se suivent sur un poteau mince surmonté d’une petite forme de bois, rien n’en vient autre que la variation de
    la luminosité du léger sombre au plein soleil et quand dure une minute, le lopin du potager peu entretenu, aucun
    changement autre que le mouvement d’herbes.

                  Et les voix embrassent chaque recoin. Les voix de Arnold, Brigitte, Christian, Dominique, Éric, Félicien,
    Gilles, Heinz, Iris, Josiane, Laurent, Marie-José, Nathalie, Océane, Pierre, Quentin, Roger, Salomé, Tom, Véronique,
    Walther dont les prénoms, subtilement, composent, ou presque, l’alphabet.

CINÉMA EXPÉRIMENTAL -ART VIDÉO- MONOBANDES

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