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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS

La variation porte sur dedans / dehors; ville /campagne; métropole avec autoroutes internes /étang vide. Elle

oppose simple et multiple : ciel bleu avec le seul point noir d’un seul oiseau / ciel gris bleuté avec le croisement de

nombreux oiseaux. Elle porte sur les reflets à travers les fenêtres et sur l’eau. Elle guette les possibilités du voir

distinctement ou flou, derrière la buée ou le givre mais ne cherche pas à prouver quoi que ce soit autre que l’appé-

tence du voir. Elle ne documente pas le monde, mais seulement en saisit des référents, sans critères d’excellence

ou d’importance, et ce, jusqu’au simple fil de fer érigé sur l’étang. Tout est équivalent sous l’objectif, tout est objet /

sujet du regard.          Simone DOMPEYRE

                                                   Yvonne CALSOU, Poulet du dimanche, 3min 13,
                                                   Toulouse

                                                                  Mon parcours artistique – dont l’évolution m’a amenée
                                                   des premières encres aux vidéos – met à jour des notions récur-
                                                   rentes qui questionnent à la fois, les constituants de la peinture (ou
                                                   de l’encre, dont émerge la forme ou l’informe), l’acte de peindre (le
                                                   dépôt, le retrait ou la diffusion aléatoire de l’encre qui en résulte),
                                                   acte souvent dans un rapport à la photographie (par le cadrage, le
                                                   noir et blanc, des effets de sur ou de sous-exposition). La pratique
sérielle des encres m’a conduite à m’interroger sur l’idée de narration, sous-jacente dans les encres, et qui se ma-
térialise sous la forme du flipbook, du livre d’artiste et des vidéos sonores. Dans ces dernières, la prise en compte
du temps au cours du défilement des images questionnent aussi, outre la narration et le récit filmique, la notion de
mémoire intime attachée tant aux images qu’au son.
              Poulet du Dimanche, dont le titre à l’évocation nostalgique n’est pas sans rappeler Un dimanche à la
campagne. Le son extrêmement important, évoque un repas de famille : voix joyeuses d’enfants, rappels à l’ordre
des parents, cliquetis de fourchettes… Une première image, comme la réminiscence rétinienne d’un éblouissement,
puis la lumière en un zoom arrière, dévoile sa source dans le reflet d’une table vide. Telle une photo de famille dont
les convives auraient disparu, les chaises vides témoignent de cette absence. Si l’image reste ouverte dans le vide
qu’elle instaure, le son over la peuple de nos souvenirs. Et le champ de la table devient alors le lieu-même du théâtre
de l’intime, des repas de famille où les voix se sont tues, mais qui peuplent nos albums. »

                                                                             Isabelle SENGEZ

Jorge CATONI, Developing Nation/ Pays en voie de développement, 10min, CHIL

              Le « Vega Central », marché ouvert de Santiago, au Chili, malgré son nom à l’américaine, reste très
loin de ce que cette appellation devrait prouver de modernité et de potentialité. Nourrissant cet oxymore, la vidéo
Developing Nation/ Pays en voie de développement, en filmant cet espace, expose la cruauté du monde envers trop
d’humains laissés pour compte de ce qui échoue en pseudo-développement économique.
Hommes et enfants y survivent d’autant plus douloureusement qu’ils sont les invisibles; leur station est pourtant là,
dans la rue arpentée par la population avec – abri, ils y dorment agglutinés à deux sous les porches des magasins…
ils y récupèrent les vieux sièges, ils s’y accoudent aux poubelles et scandale, ils osent marcher le long de la grève.

              La rigueur humaniste de cet essai vidéo exclut le portrait qui individualiserait ce qui concerne des
milliers d’hommes. Le noir et blanc ôte toute velléité d’édulcoration. Le regard est documentariste mais le refus de
voix de la connaissance en off, comme du mot en in - ces hommes, seuls le plus souvent, ne parlent pas et on ne
leur parle pas - annule le sensationnel avec la pointe de crainte qui l’épicerait ou le tourisme compassionnel, alors
que jamais la caméra ne se fait sentencieuse. Elle dit ce qui est dans la ville et que l’on frôle au quotidien. Plus, elle
jette à la figure que nous ne savons pas partager, que nos modes de rapports sociaux sont frelatés, que nos mots
démocratiques sont vidés; elle le fait mais sans prêche. Elle sait voir que ceux qui achètent et déambulent sans
heurts ne bénéficient pas d’une grande aisance : la carcasse de viande est portée dans la rue, sur l’épaule, la pile
de cageots est peu élevée. Le café - restaurant est pauvre. Le monde filmé est sans grâce.

18 C I N É M A E X P É R I M E N T A L - A R T V I D É O - M O N O B A N D E S

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