Page 125 - catalogue_2012
P. 125


Christine COËNON


HPEA les Quatre Saisons
LE CYCLE DES IMAGES


L’oxymore « synthèse disjonctive » qui caractérise la Sérénissime, peut également s’appliquer comme
principe de montage vidéo, et ce, plus particulièrement, lorsque l’on cherche, comme le fait Christine
Coënon, à manifester la matérialité de l’image pour condenser une poématique de sens.
Non pas en disposant les éléments sur une trame narrative linéaire, auquel cas ces éléments seraient les
illustrations d’un scénario pré-établi, mais en les propulsant dans la bousculade d’une cristallisation plas-
tique faite de chocs, de frottements, de faux raccords et de faux-mouvements. HPEA réalise d’ailleurs
parfaitement la définition de l’image-cristal telle que proposée par Gilles Deleuze dans « Pourparlers » :
«…La notion d’imaginaire suppose une cristallisation, physique, chimique ou psychique ; elle ne définit
rien, mais se définit par l’image-cristal comme circuit d’échanges… ce qu’on voit dans le cristal, c’est le
temps devenu autonome, indépendant du mouvement, des rapports de temps qui ne cessent d’engendrer
le faux-mouvement. »
Ce circuit d’échanges du montage vidéo réunit le séparé, mais le réunit en tant que séparé. Cette
expérience est particulièrement sensible en présence des images indirectes, filmées par réflexion dans les
vitres des vaporetti et des pontons.
Le mouvement incessant du corps marin, relayé par les corps flottants, provoque une instabilité
permanente de la superposition des images, comme des décollements de peaux, ou des froissements de
rideaux.
La condensation du sens se fait alors autour de cette instabilité du corps des images, non pas principale-
ment parce que ce corps en bascule, en porte-à-faux, serait une représentation symbolique de la cité, par
réitération de ses caractéristiques physiques, mais surtout parce que ce corps d’images qui va de travers
ouvre le territoire d’une pensée qui serait basée sur les va-et-vient, les zigzags et les hésitations, et non
sur une trajectoire codifiée à l’avance.

CONSPIRATION PSYCHÉDÉLIQUE

C’est donc la même instabilité génétique qui gouverne le corps des sons et le corps des images.
Génétique de l’instabilité qui définit l’art comme expérience psychique et non comme représentation
symbolique.
Et même si l’on peut reconnaître des fragments de Venise, aussi bien dans le corps des sons que dans
celui des images, ils ne sont pas là comme représentants ou souvenirs, ou pour que l’identification
accorde un peu de répit dans le trouble général. Au contraire leur présence donne aussi la mesure de
l’instabilité, ils sont là comme repères, degrés ou marqueurs autour desquels vient basculer et tourbillon-
ner la danse des corps.
Cette hydrodynamique des sons et des images est évidemment renforcée par la conspiration des deux
corps dans le quadrangle tourbillonnaire présenté par Traverse Vidéo.
Conspiration car les deux corps accordent leur souffle et complotent pour projeter le spectateur dans le
trouble de la « psyché ».
(À noter d’ailleurs que psyché désigne également un reflet qui bascule).
HPEA est un trouble « psychédélique » donc, au sens premier de « vision de l’esprit ».


Jean-Luc André









Installations / Expositions - Faut Voir 125
   120   121   122   123   124   125   126   127   128   129   130