Page 130 - catalogue_2012
P. 130


Hyeyoung YUN


Perfect V.
La Jeune Fille à La Perle hypnotise encore,
carnation translucide, lèvres rosées brillan-
tes entr’ouvertes, regard en effet de hors
cadre alors que le buste est de trois quarts,
malgré ses trois cents ans et quarante cinq
d’âge ; une Barbie trop maigre, seins trop
bombés, regard vide, a eu beau vouloir en
imiter le turban bleu et le bijou d’oreille, elle
reste un sans vie, pourtant lancé comme
modèle aux petites filles auxquelles on offre
des séries de cette icône vide.
Cette poupée porte l’ambiguïté de la notion de beauté : le refus des contraintes, la différence et la
singularité en suivant les codes, le standard.
Vanessa Beecroft en accuse l’artificialité dans des actions déléguées à des femmes modèles, actrices,
comme inconnues rencontrées dans la rue, identiquement et petitement vêtues, parmi lesquelles une ou
deux nues, talons hauts, elles arborent de tels traits gommant la différence.
Non sans questionnement politique, la seconde dans, par exemple, en 1994, Ein Blonder Traum/Un Rêve
Blond au titre inducteur de sens dans la galerie allemande, réunit trente jeunes filles, chaussures noires et
chaussettes hautes, slip gris avec chemisier noir ou gris et perruques blondes tressées ou pas.
Dans toutes ses actions, les figures vivantes ne prennent jamais contact avec le public, ne bougent pas ou
très peu, observant sans observer ; le code poussé à l’extrême glace.
Une telle artificialité, les séries de Valérie Belin en approchent aussi l’ambivalence, en appliquant la
polysémie de « mannequin » objet et sujet présentant des vêtements ; en vitrine ou en magazine, chargé
de l’injonction: portez ce que je porte. En 2006, elle renverse, en provoquant le même malaise fasciné, un
travail, de trois ans auparavant, qui rassemblait des photographies de mannequins artificiels auxquels elle
avait donné l’air humain ; cette fois, la série se compose de photographies de jeunes mannequins blancs,
six filles et six jeunes hommes, en plan rapproché épaule, nus sur fond noir, et sept mannequins noires
dans une pose parente mais vêtues ; tous vivants.
Très légèrement de trois quarts, ils connotaient l’éloignement d’autant qu’ils devaient tenir leur regard droit
devant elle. Photographié avec un diaphragme très fermé, le visage perdait de son modelé, tous les traits
se dessinant avec la même iconicité. Le clone sommeille dans les canons de la beauté.
Restait à la vidéo à décliner ce questionnement de l’avatar, du désir aliéné de correspondre à la
« Beauté »… Yun Hyeyoung nous y entraîne en induisant subrepticement le poids de la mondialisation.
Cette jeune artiste, étudiante d’origine coréenne compose ce nouveau Perfect où elle-même se prête à
l’exercice d’amour d’une jeune femme pour un mannequin aux traits censés être occidentaux.
Sa courte vidéo, construite en boucle et qui réclamait la boucle pour son efficience, prend le parti de
l’irréalité non seulement par le montage de l’image en négatif, mais teintant celui-ci du bleu- couleur au plus
loin de notre carnation d’humain mais choisie pour Avatar, comme peau de l’extraterrestre.
Une jeune femme aux traits asiatiques en embrasse une autre ou du moins le simulacre d’une autre,
mannequin figée sous ses assauts ; grands yeux ouverts sur le rien, affublés de cils démesurés, lèvres
charnues… l’embrasseuse poursuit, se penche, cache le champ de ses cheveux emmêlés, elle perturbe le
voir. Si près, elle ne voit pas ce qu’elle pense s’approprier… avec conscience, le modèle désormais de
profil, elle en lèche la joue…dans la lenteur de l’impossible accord. La parfaite beauté n’est qu’un froid objet
mais eût-il été vif, dans la carnation d’un corps réel, la recherche de la perfection l’aurait tout autant réifié.
Leçon simple, leçon des choses, être sans s’aliéner à un modèle quand la beauté est peut-être
l’imperfection vivante.
Simone Dompeyre





130 Installations / Expositions - Faut Voir
   125   126   127   128   129   130   131   132   133   134   135