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Eric MUTEL
MUTE - A moment inside ice
Trois bustes de dos, trois jeunes femmes, prises dans d’étranges blocs aux formes pourtant
parentes et parallélépipédiques, s’imposent sur leur fonds minimaliste et sombre. Le noir et blanc signe la
rupture d’avec l’imagerie actuelle. La capture est d’emblée, on ne peut que rester saisi par la force
émanant, et le questionnement sur ce qui est là.
Le triptyque s’instaure dans le silence, un bloc y tourne sur lui-même, s’y adjoint un second à
gauche avant un à droite dans un semblable mouvement sur eux-mêmes, avant l’arrêt. Le mouvement se
fait par bloc ; après ces tours sur soi, les trois se suivent, leur défilement réorganisant l’horizontale
« intra-carrés » de glace. Et peu à peu les visages se découvrent non pas d’eux-mêmes mais parce que
les blocs tournent.
Ce mouvement sur soi ne recherche pourtant pas la complétude de l’image, il n’entre pas dans la tradition
des peintures et photographies intégrant en leur champ un miroir afin de décrire la nuque de la femme de
face ou le visage de celle de dos. Pour preuve, la lenteur descriptive est débordée en crescendo jusqu’à
ce que le flicker s’empare de ces images en bloc, une puis l’autre jusqu’à la difficulté d’en appréhender les
traits dans le triomphe de ce mouvement.
Les corps se ressemblent dans leur posture, droits, immobiles et leur dénudement des épaules,
sans affichage pourtant d’une nudité triomphante, nues. Le champ s’arrête au-dessus des seins, voire
dépasse pour l’une, un minuscule fragment du bustier noir couvrant les seins. Leur image ne bouge pas
d’elle-même, leur mimique identique, impassible affiche la pose imposée ; regard sans changement, posé
sur nulle part, sans sourire, silence marqué, elles ne sont pas pour autant figures de clones ; les distinguent
le dessin et l’épaisseur des lèvres et la coupe de cheveux, courts pour deux, avec variante de la nuque et
autour des oreilles, longs plus clairs pour la troisième placée entre les autres.
Les blocs sont de glace, ils subissent des raies, des zébrures, de la fonte… parfois, une
coloration bleuit ce sans couleur. La déformation n’est pas de la souplesse mais du coup à coup sans excès
ni bruit. Des points vus sur la transparence grâce au noir du fonds, en punctum fragiles, précèdent le
délitement. Des lignes brisées devancent les coupures.
L’image se défait parce que le médium se défait. Si les corps s’affichent d’expérience, ce sont
des photographies d’eux et non tortures du vivant, traits et non écorchures. Jamais la corporéité n’est
attaquée en tant que telle mais le corps-image.
Si d’emblée, les occurrences des mouvements des blocs sur eux-mêmes ont imposé la partition comme
mode d’emploi, plus précisément c’est la sérialité musicale qui s’avère le fondement de cette œuvre, avec
les variations idoines rythmiques et de tempo, en un duo complexe avec la création musicale de Laura
Murtomaa qui, elle, réclame un volume sonore actif.
Cette musicalité métaphorique et littérale enchaîne à penser l’image et le processus ; la glace que la
naïveté disait immortelle jusqu’à penser survivre par cryothérapie, à tel point que la fiction français en retint
la possibilité. Ainsi Molinaro, dans Hibernatus réveilla-t-il en 1969, date commune au tournage et à la
diégèse, un savant pris dans les glaces en 1905 désormais plus jeune que son petit fils.
La préoccupation intellectuelle du propos d’Eric Mutel est ailleurs, elle ne se fraie pas
davantage vers la version scientifique, ni vers un Ötzi - nom donné à un être humain, du Chalcolithique,
soit 4 546 avant notre ère, momifié naturellement et découvert par un couple de randonneurs, en 1991
dans les Alpes de l'Ötztal,parce que la couche de glace de sa conservation avait été attaquée par la forte
chaleur de cet été-là.
Au contraire la capacité de variation, de mouvement de l’immobile, de dépassement du supposé
intangible, lui fait approcher les incompatibles ; une flamme s’attaque au bloc.
Le papier photographique brûle, devient noir puis cendres.
Mute se fait l’exposé de l’imperceptible… photo sur fonds aqueux, eau devenu forme, feu ramenant à l’eau;
retour aux éléments par eux : archéologie du savoir.
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