Page 150 - catalogue_2012
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Stéphane C.


They never adopted the name for themselves
Le photographe Stéphane C. travaille depuis des années sur la série sans fin They never adop-
ted the name for themselves / Ils n’adoptèrent jamais le nom poue eux-mêmes, oeuvre énigmatique dont
on perçoit assez vite qu'elle s'éloigne du champ documentaire commun. Et qu'elle doit s'aborder comme
une recherche personnelle, expressionniste et poétique, où la technique photographique (photographies
argentiques vibrantes, flous, noir et blanc contrasté à l'extrême, grain à volonté...) génère des images
s'apparentant presque à des peintures, plus évocatrices que démonstratives.
Les repères sont éludés, les lieux et temps non identifiables. La combinaison des photographies met peu
à peu à jour ce qui semble être un combat intérieur, dans l'âme, fruit d'une dualité et d'une ambiguïté que
l'artiste revendique comme génériques et présentes dans l'essence de chaque chose. Brèches de lumiè-
res irradiantes, souffles extatiques et instants de grâce, s'opposent à des vibrations noires, animales,
violentes et menaçantes. Des présences, des émois, une profondeur et des énergies qui révèlent
l'invisible à ceux qui savent le voir, et construisent une réalité presque mystique aux frontières élusives.
Une sorte de parallèle.
Bras de fer intérieur donc, propre à la
condition humaine, le tout dans un monde
qui semble en perdre le contrôle, et qui
serait peut-être même engagé dans un pro-
cessus d'autodestruction. Une atmosphère
de crise et un vacillement énoncés par cer-
tains clichés symboliques, celui de
l'homme giacomettien courbé et dégringo-
lant vers le précipice, ceux des ruines, de
l'escalier pavillonnaire détruit, de cet autre
personnage affairé à une machine à sous
devant un poster géant de la terre, ou
encore de l'avertissement tremblant "Coming soon very sad"...
Des images aux structures chaotiques, bancales ou implosives qui, au fur et à mesure qu'elles s'égrènent,
dressent le constat de territoires en déclin.
Dans ces espaces, déambulent des silhouettes voûtées, comme noyées dans une solitude urbaine
paradoxale, comme enfermées dans un système féroce. Les corps graves portent des regards usés. C'est
un portrait de l'Homme aliéné, sous pression, pris dans cet engrenage et ces rapports de force.
Le photographe au fond, et à l'instar de ses sujets, cherche l'apaisement. Et Ici le salut ne peut être que
mental, en soi. Une évasion interne pour s’échapper de sa propre geôle, où cet horizon cérébral se
matérialise par des vagues de lumière envahissant les clichés et jaillissant de leur coeur. llumination oui,
qui donne paix aux visages et inonde les paysages.
Rivages. Présages. Images. Profondes et existentielles...

They never adopted the name for themselves comme une entrée dans un monde équivoque.
Cette série, on le devine, est sans commencement ni fin. Stéphane C. est livré à ce geste obsédant qu'est
de photographier. Et qu'importe où il se trouve, ce qu'il fait. L'essentiel est d'arracher aux choses leur voile
d'incertitude. Comme si la somme des apparences ne donnait du monde qu'une vision parcellaire, indéfi-
nie. Toujours vibrante, vivante. Ces images ne dévoilent pas un autre monde, il s'agit bien du nôtre, mais
le photographe, avec une émouvante sincérité, tâche d'en relever ses blessures et ses déchirements.
Tentative exacerbée de faire coexister sur un plan photographique, le réel et son double, comme vouloir
faire entrer le jour dans la nuit.








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