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Olivier PY
Méditerranées
"Nous sommes avant tout des Méditerranéens". Le retour à une telle affirmation fonde le travail
théâtral et maintenant les préoccupations cinématographiques d'Olivier Py. Le film qui affiche ses racines
Mediterranées se construit avec des films de famille tournés par sa mère mais, alors même que
nombreuses des scènes appartiennent à des époques d’avant sa naissance, il se lit comme un autopor-
trait. Empreint de nostalgie Olivier Py, en commente lui-même ces traces de la vie et de l'exode de sa
famille pendant et suivant la guerre d'Algérie. Au-delà de son émotion, il induit la réflexion sur le rapport
qu'entretiennent histoire personnelle et Histoire. Tout y ramène au questionnement sur les origines et
particulièrement sur cette identité de Méditerranéen.
Le film s'ancre dans le passé selon les images témoins du passé familial vu avec tendresse.
Marque des cinquante ans écoulés avant que le réalisateur ne les retrouve, les vidéos couleur sépia brûlé
crépitent. Le contre-point s'opère entre des scènes de bonheur simple, de baignade, de rires entre amis
et la musique anempathique de Wagner ou de Verdi qui importe un ton plus envolé et déteint sur
l'atmosphère joyeuse des rencontres. Le bruit canonique d'un projecteur vise à connoter l'ambiance d'une
séance de projection familiale tout en impliquant la fonction fondamentale du film dans ce retour sur soi
par le retour vers sa mère.
Le réalisateur explique, dès lors, le besoin vécu par sa mère de filmer le quotidien au nom de la
"nostalgie du présent" - en renversant l’étymon de cette douleur concernant la perte du passé - ou par un
"pressentiment" de la perte pour son père lorsqu'il s'attarde sur le visage de sa grand-mère qui mourut
quelques semaines après ces prises de vue-là.
Cette perte pensée effleure encore le "plan d'adieu à l'enfance" alors que l'ennui visible du père et
l'inquiétude tout aussi sensible de la mère reflètent un "amour qui se délite" ou la "fin d'un amour dont je
suis l'oeil".
Prise dans ce désir du proche et la volonté de l’amour de la famille, la mère n’a rien filmé en rap-
port avec la guerre d'Algérie ; les plans de l’Algérie sont sous le soleil du bonheur, les gestes sont
d’affection et d’occupations simples, mais Olivier Py s'attache à déceler l'Histoire qui se passe en creux
dans ces images qui l’excluent. La tranquillité du gros plan du père souriant et clignant de l'oeil est, par
exemple, troublée par la voix over qui prédit la fin de cette tranquillité : "L'Histoire va les rattraper."
Plus dramatiquement, la voix du fils dénonce l'insouciance des parents comme étant "le cœur de la
guerre". Avec les parents, les autres Méditerranéens, Français d'Algérie sont accusés de n’avoir pas vu
les conditions de vie de la population locale, d’avoir refusé des moyens d’empêcher la rupture.
La suite des coiffures de la mère pourrait se lire comme une métaphore des résultantes de la
guerre sur l’humain. En 1961, elle arbore un blond vénitien, mais lorsqu'elle fuit l'Algérie avec sa famille
pour regagner la métropole, elle se teint en brune : "c'est l'hiver" à lire comme la perte aussi d’un bonheur.
Années 70, époque faste que les parents "jeunes bourgeois" vivent tel un "âge d'or", elle se blondit à
nouveau.
Au-delà de ce parallèle dû au hasard des modes, s’inclut un regard plus social, plus historique.
Le commentaire y parvient, lorsque se découvre le hors-champ, qui, comme par lapsus, dévoile au hasard
d'un plan des voitures brûlées ou des jeunes hommes qui tapent sur le toit d'une voiture "1, 2, 3, 1, 2", le
signifiant d' "Al-gé-rie française". Il glisse aussi des images d'archives du camp de surveillance des harkis
où était affecté son père, que certes sa mère n’aurait pas retenues.
Se revendiquer Méditerranéen réclame cette conscience ; le film la provoque d’autant qu’il avère que les
marques d'une guerre que l’on n'a pourtant connue que par le désarroi d’un père, ont formé la personna-
lité: "Quelque chose souffre depuis l'enfance".
Par ailleurs, le film prête aux femmes un rôle plus fort dans la création de la méditerranéité ; elles
occupent plus longtemps le champ que les hommes à l'écran. La figure maternelle s’y décrit comme forte,
non timide mais "jou(ant) la timide", ou imitant la moue de Brigitte Bardot. A contrario le père vulnérable
"fait croire que rien ne pourrait l'atteindre".
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