Page 147 - catalogue_2012
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Frédéric de MANASSEIN


Regarde où tu marches (parcourir la nature, c'est déjà l'interpréter)
Ainsi le film engage-t-il un itinéraire philosophico-poétique, il pense ses actes de pensée et les
faits liés ; il avance dans la métaphore, non seulement au sens de passage d’un signifié d’un domaine de
sens à l’autre, méta pour le trans et phorein pour le port, mais en montant tel plan de la nature à tel du
discours.
L’entrelacement est si étroit que le demi-ensemble suivant l’emprunt d’une petite route de campagne,
glosant sur sa forme, s’adjoint et le graphique, son support papier calque et la parole concernant ces
mêmes lignes de force.
Un feutre se fait le poursuivant du trajet, des inscriptions forment règles de réflexion. « Le passage
obligé » qualifie un trajet formé par les passages successifs des promeneurs –solitaires ou pas- comme
le geste à faire ou la formule à dire, celui-ci est suivi de plus de son quasi synonyme « le stéréotype »
avant le renversement de cette manière d’expression puisque la formule figée s’y détruit en « le passage
négligé ». Ceci est métonymique de la démarche du film, décrire des lieux connus ou connaissables,
topiques de la montagne bucolique, mais en les associant à son propre regard : le passage obligé est suivi
par des doigts sur une barrière comme plus tard, le passage entre deux rochers est préparé en posant le
trop frêle bâton de marche comme fil de funambule, mais c’est en une grande enjambée que se fait
l’avancée d’un rocher à l’autre ; le stéréotype entend la cascade topique mais son bruit se mêle à celui d’u
embouteillage fort citadin ; et à leur suite, le bâton trace au sol de terre meuble des demi-cercles devenant
cercles concentriques- avec courte animation- et que saute le dessinateur…
Des préceptes le commandent, le réalisateur les assure : « marcher c’est dessiner une ligne de
plus », écrire aussi comme réaliser c’est dessiner un plan de plus : selon des méandres, des sentes ainsi
les arrêts sont-ils tout autant porteurs de poids. La sieste en devient lieu de contestation d’une idée d’un
monde qui ne jurerait que par le travail ; elle cite en antiphrase des paroles d’exaltation appelant à une
bataille culturelle pour le travail, attaquant ceux qui « rêvent de la retraite », à Pierre Carles pour son
Attention danger travail. La terre perd son horizontale, avant un fondu au noir, et la description de FDM
yeux fermés, résistant à l’appel de son téléphone –radio, précède son accusation contre cette « propa-
gande fallacieuse ». La vacance, en effet, est source du film, la disponibilité rend ouvert au monde et à la
pensée.
Le film se nourrit des flux – à nouveau avec la polysémie-il s’écrit de ces flux du ciel en la terre,
de la terre en ciel ainsi le fondu enchaîné les croise, et la terre avec l’eau. Frédéric de Manassein
dessine à l’eau sur un rocher des herbes, ils qualifient les roches de « fluides », cela s’écrit en
surimpression d’un demi-ensemble, où il pose ses pas sur un rocher selon les traces accueillantes
creusées sur celui-là.
L’impromptu déroule le fil du film, un doigt recueille une goutte de pluie sur un encadrement de
fenêtre, la goutte miroite, le promeneur la pose sur un papier où elle devient avec une jeune fille en
dessin découpé, petite mare puis averse avant de se colorer… un petit bonhomme dessiné sur une ser-
viette en papier vole au gré du souffle d’air… de petites stalagmites sont brisées dans un bruit de bris de
verre… un sachet de thé est donné au flux du torrent sous une musique japonisante - Yoshihisa Taïra -
l’association des formes produit de brefs fragments d’histoires sans conclusion ni suite. Plaisir de la
rencontre nature/idée.
Cela en plein accord avec l’image fondatrice de la marche « à la façon d'un archet sur les cordes d'un
violon, pour faire vibrer les contextes» qui poursuit sa métaphore filée « parcourir la nature, c'est déjà
l'interpréter » ; comme un soliste avec son instrument. Trois gros plans de l’œil puis de l’oreille puis des
yeux ont prouvé ce projet de perception attentive.
Expérience partagée puisque le film se voit en musique poétique et ce, avec la sensation que le sourire
pensant qui s’est dessiné avec l’invitation et la coccinelle n’a jamais délaissé nos lèvres. Le promeneur
s’est fait passeur pour notre propre implication.
Simone Dompeyre




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