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           Carte Blanche à Denis Vaillancourt -Vidéographe- Québec

                                                                    Frédéric Moffet, Postface, 7,20min

                                                                          En 2013, Traverse Vidéo a programmé Neverending
                                                                    Limbo de Décade, cette performance-cinéma en chant amou-
                                                                    reux à Gene Tierney, transforme le montage originel de
                                                                    Laura, de Preminger. Quant à Postface, il rassemble vie pri-
                                                                    vée et vie filmique de Montgomery Clift dont un accident de
                                                                    voiture perturba les deux.
                             Hollywood assignait un rôle à un acteur, grand amoureux ou séductrice, personnalité respon-
                 sable ou second couteau. Le jeune premier était l’homme BEAU, aimable au sens XVIIème- celui que l’on
                 ne peut qu’aimer, dans la capacité à être aimé, pourtant la pincée d’inquiétude du regard de Montgomery
                 Clift faisait signe vers une personnalité plus contrastée. L’Amérique alors l’obligeait à cacher son homo-
                 sexualité ; l’alcool et les médicaments lui parurent le refuge avant de devenir addiction. Défiguré et le visa-
                 ge à demi paralysé à la suite de son accident, pendant qu'il tourne L'Arbre de vie d'Edward Dmytryk, il ne
                 termine le tournage que grâce à la chirurgie esthétique.Très affaibli, avant qu’une crise cardiaque ne l’em-
                 porte à 45 ans, il ne survit qu’une dizaine d’années, durant lesquelles il joue dans Soudain l'été dernier -
                 un médecin d’un hôpital psychiatrique et non pas le jeune homme perturbé du scénario- puis dans Le Bal
                 des maudits avant que Kazan ne le choisisse pour Le Fleuve sauvage ou, que sous la direction de
                 Huston, il façonne un Freud tourmenté.
                            Fréderic Moffet connaît la filmographie de Montgomery Clift et les conséquences de l’accident.
                 Il les transforme en destin numérique ; Hollywood se greffe à tel point sur l’homme, qu’il en est hanté…
                 qu’il n’a pas d’issue hors de ses images. Cet hommage se tisse avec du filmique, même les paroles sont
                 celles des films. Les films divers, de scénarii divers, de réalisateurs divers donnent des bribes de la vie de
                 l’homme ; pris par ces rôles, il ne s’en dépêtre pas.
                 L’ordre des fragments retenus compose une biographie d’après l’accident rappelé par un carton. Il forme
                 la phrase de la vie de l’acteur. La narration est linéaire ne se permettant qu’un retour de plan, et un flash-
                 back conclusif avec un plan frontal de l’acteur en voiture. Postface passe à la couleur parce que les films
                 américains l’ont adoptée, cela coïncide avec des plans de l’acteur, visage visiblement plus marqué. Le
                 gros plan du visage restant privilégié car les changements de regard trahissent ses préoccupations et son
                 malaise grandissant. En prélude, avant le premier carton, le visage indemne laisse déjà passer une
                 interrogation dans ses yeux.
                            Souvent des obstacles, des embarras gênent l’homme et gênent la perception que l’on a de lui
                 car le plan saute, des saccades l’attaquent, ce que doublent fenêtre, compartiment, voiture qui l’enferment.
                 Des plans aniconiques commentent le réel du vécu, eux laissés stables : «Comme un virus la rumeur
                 s’infiltrait partout/ potins propagation», un carton sans texte est accompagné de cris perçants. Un der-
                 nier en coda lance un étrange « après moi le déluge » accordant, à l’homme, cette riposte contre les
                 autres, riposte dernière. De rares segments de dialogues ponctuent cette descente vers la perte de soi,
                 la mort. Le champ lexical passe de « d’accord/ mon visage, ça va / My face is fine », de la demande de
                 confiance à celui de l’incompréhension, de la non reconnaissance, de l’accusation et de la manipulation.
                 Des cris, une sonnerie et un éclair d’opéra, début d’un récitatif de Callas ? qui subit, par ricochet, un tres-
                 saillement comme l’image. Des drops numériques, des raies du type de celles tracées lors du rembobi-
                 nage déconstruisent l’espace quotidien. Ces déformations de l’image s’attaquent très précisément au visa-
                 ge, en petits carrés déconstructeurs de la joue, avant d’emporter dans le noir, ce côté du visage. Cette
                 attaque évite toute ambiguïté puisqu’elle suit un plan portrait attestant l’identité de l’acteur et non de tel ou
                 tel être fictif. En effet, les plans de film sont décontextualisés, très écourtés et très brouillés afin de perturber
                 voire d’empêcher la reconnaissance des films-sources… sans doute tel costume et tel comportement vien-
                 nent-ils des Misfits/ Les Inadaptés en français, mais cela répond à la représentation faite de Montgomery
                 Clift et au mal-être lisible de plus en plus dans les derniers plans, désormais en couleur, où l’homme boit.

            54 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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