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         Carte Blanche à Vanja Andrijevic BONOBO Studios

                                                                                          Dalibor Baric, Amnesiac on the
                                                                                          beach, 23,45min

                                                                                             Interview de Dalibor Baric par l’artis-
                                                                                          te vidéaste et cinéaste, Clint Enns.

                                                                                             Clint Enns: Commençons par l'une
                                                                                          des questions les plus évidentes.
                                                                                          Comment travaillez-vous vos films ?
                                                                                          Dalibor Baric: Pour moi, tout commence
                                                                                          comme un jeu d'enfant. Je voulais être
                                                                                          cinéaste, mais sans me soucier du bud-
                                                                                          get ni du matériel technique. Je suis un
                 peu comme un dresseur de puces savantes de cirque, qui avec des séquences vidéo, du collage et des réfé-
                 rences fait des films qui explorent divers sujets. Malheureusement, cela n’annule pas du tout le travail à four-
                 nir et, tel un passager clandestin destiné à peler les pommes de terre, je travaille image par image, en un
                 travail artisanal besogneux grâce à une tablette Wacom et à Photoshop.

                 CE: Vous floutez la frontière entre images fixes et images animées. Ainsi, expérimentez-vous l’approche,
                 en une petite boucle, pour créer l'illusion du mouvement, par le panorama, le zoom, les plans successifs,
                 la rotation, le retournement de l'image, etc.
                 DB: Cela vient d’un concept de la robotique, l’Uncanny Valley, par lequel un personnage d’image de
                 synthèse devient si réaliste qu’il provoque un sentiment de répulsion. Ce concept décrit la disso-
                 nance cognitive que nous ressentons lorsque l'illusion du réel est perturbée. J'aime créer ce genre
                 de rupture en brisant l'illusion d'homogénéité et de continuité dans un film, cela revient à altérer le
                 caractère crédible, l'effet réaliste, en exhibant tous les mécanismes censés rester cachés. En d'au-
                 tres termes, le médium compte autant que le message.

                 CE: Travaillez-vous en numérique ou sous une forme hybride ?
                 DB: Je ne travaille jamais avec du film autre que du vieux 35 mm sur lequel j’effectue un grattage manuel.
                 En fin de compte, tout est numérique, même si la matière de base collectée provient d’un peu partout : de
                 chutes d’images, de textures, de photographies, de prises empruntées à la télévision ou à l'ordinateur. Je
                 découpe chaque image avec Photoshop pour imiter le papier découpé aux ciseaux et ainsi obtenir une
                 «qualité» organique ou l’effet lumière du jour. Je ne retiens jamais l'un des effets intégrés au logiciel ou des
                 plugs-in autres que du flou gaussien et la correction des couleurs de base. Je préfère inventer un effet ou
                 trouver une solution technique qui me soit propre.

                 CE: L'un des aspects le plus esthétiquement visible de votre travail est l’effet de grain-photo et la repro-
                 duction de techniques de film à l’ancienne, comme les perforations qui sillonnent une pellicule, etc. Quel
                 sens donner à l'authenticité à l'ère du numérique?
                 DB: Un excellent exemple de faux par opposition à l'authentique nous est donné par le roman de Philip K.
                 Dick, The Man in High Castle de 1962. Le livre peut être lu comme une exploration du concept du simula-
                 cre de Baudrillard, d’une copie sans original, ce qui revient à une pure simulation. Je suis fasciné par la
                 manière dont les vieux films numérisés conservent les traces d’altération et de dommages mécaniques. Ils
                 ont laissé une empreinte, comme un fossile. Les nouveaux artefacts numériques sont introduits par com-
                 pression. Qui sait, peut-être que le film original a déjà cessé d'exister et que cette version est tout ce qu’il
                 nous reste. C’est une pensée à la fois obsédante et inquiétante.
                 Culturellement, nous sommes obsédés par les reliques de notre passé. Penser rétrospectivement à l’inté-
                 rêt de nos générations, à ce qui nous hante, l’imaginaire, le steampunk, Instagram, etc. A cause d’Internet,
                 nous sommes absolument saturés par une contamination radioactive de notre passé, ce qui altère notre

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