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Installations Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 115


Bettina HOFFMANN, Effeurer, 7 : 00 min, Can.


















Effeurer surprend des personnes dans une chambre en un moment de fausse intimité, dans une immobilité
inaccoutumée, sans explication aucune, ni dialogue ni voix over. Celles-ci se tiennent diversement si près et
si loin à la fois : debout, une jeune flle près d’un miroir et une adolescente main posée sur l’épaule d’une
femme, elle, assise sur une chaise, placée près d’un lit où est aussi assis, sur son bord, un homme et couché
à demi, sur l’autre côté un adolescent dans une posture que ne renierait pas l’un des deux hommes du
Déjeuner sur l’Herbe de Manet.
Elles sont plutôt nombreuses, plus que ce que l’usage social impliquerait eu égard à la dimension de la
pièce, et elles en deviennent à la fois si proches et comme séparées ; leur posture de repli, d’attente ou
de vacance ne reçoit pas de justifcation. Ainsi pas une ne bouge et alors que tout mouvement interne est
annulé, autour de ce fgement temporel, un mouvement extérieur circulaire rapproche de ces personnes
et du mobilier de la chambre, jusqu’à les effeurer selon le titre programmatique.

Meubles simples et attendus avec deux lampes et plantes vertes en pot, avec un tableau au motif peu
distinct, des objets du quotidien dans un léger désordre : sac et vêtements au sol ou sur une chaise,
magazine pendant d’un meuble, bouteille vide, verre et tube de médicament sur la même commode
ne sont les ingrédients d’aucune action présagée. Ces éléments sont pris sans hiérarchie selon leur décou-
verte, dans la circularité du plan qui fait simultanément, défler lentement, les occupants en survolant
leurs particularités physiques, de coiffure, d’âge, de corpulence et les légères variations de leurs jeans
peu originaux et des motifs foraux sur chemise et rideaux. Si aucun ne prouve de réaction, un change-
ment de point de vue, en décalage, crée un effet concentrique alors que la taille de chacun - humain ou
élément - alterne, dans un contact visuel ou son éloignement, en une bizarre non-intimité. Le mouvement
effeure ces éléments susceptibles d’une ou de plusieurs histoires, mais il se cantonne dans la boucle,
à cette potentialité toujours ouverte, sans en atteindre l’énonciation. Il préfère l’extériorité des corps.
La vidéo glisse sur ces possibilités de rapprochements sans jamais les prendre à bras le corps. La musique
reprend le même phrasé sans modifcation, refusant toute fonction narrative au bénéfce du répétitif
et de l’incomplétude. Le moment pris perd de son avant et de son après, il est un point-temps dont
le cinématographique développe habituellement les potentialités.
Effeurer vacille entre un irréel du passé - ce qui aurait pu se passer - et un subjonctif de la possibilité -
dont on ne pourrait exprimer qu’une hypothèse - en tournant autour de ce rien d’autre / en tournant
ce rien d’autre, ce moment plein de lui-même et suffsant.
Effeurer gèle le narratif en gelant le mouvement de ces corps en un rappel du statut de l’image fxe de la
photographie, ce faisant, la vidéo essaie la limite du cinématographique et paradoxalement effeurant
- 3. Chapelle des Carmélites / Decazeville -
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