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Installations Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 119


Michaela SCHWENTNER, DESCENDING A STAIRCASE / IN SHIFTS, 33 : 36 min., Autr.
Une femme en peignoir jaune descend des escaliers - encore et encore. Plus
précisément, trois jeunes femmes que les traits et la coiffure différencient,
descendent successivement le même escalier, après que la première a passé
le même peignoir jaune à la seconde qui le passe à la troisième. L’une attend
en bas des marches et le plan moyen la décrit en sous-vêtement, - seule
dans cette attente, ou au moment de la passation du vêtement, l’autre
attend en haut et la contre plongée saisit ou non l’échange avec celle qui
est montée.
Selon les mêmes axes, les marches exhibent leurs gradins et le mur gris
où grimpent des feuillages, ici et là, et se dévoilent la petite rue et les
maisons adjacentes. L’une monte, peignoir à la main, pieds nus - hormis à la
fn - l’autre attend en sous-vêtements, en haut, elle enfle le peignoir avant
de descendre et la boucle se fait. Elle se ft plus encore reprise sans fn,
Descending a staircase / In shifts étant placée dans le chemin des escaliers
du Goethe Institut, chemin marqué par le ruban adhésif de la signalisation
afn d’entraîner le regard à s’inquiéter sur ces montées et descentes ; cette
position induisit l’arrêt des visiteurs en haut puis devant, et le questionner
sur ce qui y avait lieu.

© F. Stärk Ce retour du même et cette passation annulent toute motivation narrative
en affrmant un subtil palimpseste, le motif cinématographique qui, avant
même « l’oppression par les soldats tsaristes du peuple sur l’escalier d’Odessa » dont l’historien sait qu’il
n’eut jamais lieu que dans Le Cuirassé Potemkine eisensteinien, ft dans le Ballet Mécanique de Léger,
monter sans fn une femme portant un baluchon. Ces marches réveillaient et auguraient de nombreuses
variations au long du cinéma et des arts : images photographiques avec les essais de Marey quand ses
chronophotographies détaillent les pas d’athlète sur fond noir, début des années 1880, avec les essais
de Muybridge leur préférant une femme nue - Woman Walking downstairs - en 1887 ou picturaux avec
les duchampiens - Nu(s) descendant un escalier - dont le n°2, quasi monochromatique et à l’escalier
immense et irrégulier, déconstruisant l’image immobile et picturale, ft scandale en 1912.
Ce qui aurait pu être lu comme une étrange situation d’exposition - une jeune femme monte un escalier
vers… - entraîne vers un chemin qui mène aux images mémorielles et cinéphiliques de l’escalier du
Mépris de Godard tourné dans la villa de Malaparte, à fanc de falaise dans l’Ile de Capri et condui-
sant au ciel. Camille, la jeune femme de Paul scénariste convoqué pour le flm tourné par Lang dans
son propre rôle de réalisateur, descend les escaliers pour rejoindre la plage, vêtue d’un peignoir jaune,
refusant de répondre à son mari après une dispute où elle l’a cinglé de son mépris.
L’essai vidéo de Michaela Schwentner assume l’emprunt avec Descending a staircase / In shifts pour titre,
le peignoir jaune comme signal et l’absence de dialogue même si la mise en abyme en est fondatrice.
Alors que le flm de Godard intègre le hors cadre : préparation, tournage, visionnement des rushes
etc. qu’il place ce flm dans le flm, la vidéo de Michaela retient des prises non flmées généralement
puisque de préparation de l’acteur en personnage par le relais du vêtement de bain.
Cependant la question se déplace, elle interroge la conception du rôle et de la performance. Performance
actuée avec implication d’un schème à suivre - sans le clap pour reprendre - le corps, sans arrêt monte, le
pas plus ou moins lent, la manière d’être dans ce dévêtu dans la rue, celle de fermer ou non le peignoir,
- 5. Goethe Institut -
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