Page 147 - catalogue 2017
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11. Abattoirs Installations
Ce faisant, l’œuvre assume son projet de déconstruction ; elle décrit une irréalité reconstruite, qu’elle flme et
qu’elle arrête à nouveau en sa version photographique puisque la variation ne se décline pas seulement en strates
internes à l’œuvre mais en divers médiums.
Dans sa variation-flm, participe la composition électro acoustique d’Alla Zagaykevych qui, elle aussi, échappe
aux canons religieux et d’exaltation, en privilégiant les sons du réel ; agressive en ouverture, elle rythme à la fois
les mouvements des mains du plan fxe et les changements de plan et mouvements de précision sur tel ou tel
composant. Elle apporte son poids de contemporanéité à ce double palimpseste.
Cependant se détache un objet, le cône en cristal qui pourtant de même qu’il déforme le refet de ce qui s’y mire,
tout en refétant la lumière, refète le sens fort de l’œuvre.
Il se fait l’écho renversé et transformé de la pyramide visuelle d’Alberti qui réunissait l’angle imaginaire avec l’œil
pour sommet et l’objet regardé pour base. Il rejoint les préoccupations de la science du visible élaborée dans
son Traité de la peinture, par Léonard de Vinci qui ayant noté des déformations latérales dans l’application de la
perspective / costruzione legitima, y étudie un système de projection sur surface curviligne. Rigueur de la droite
et douceur de la courbe : cône virtuel et tout à la fois, image de perfection qui double le cercle, fgure du un et du
multiple, le tout fni et l’infni et le triangle.
Les perspectives d’Abraham Bosse, 1648 Les Promenades d’Euclide, Magritte, 1955
Il est l’élément-clef de ce rébus que l’œuvre porte de sa lecture, en elle-même. Elle le fait moins clairement que le
Magritte de 1955, Les Promenades d’Euclide, dont la propre mise en abyme ne se contente, pourtant, pas du double
tableau encadré et encadrant dont les bords se dissimulent, puisqu’elle inclut une tour style médiéval à toit pointu
dont la formes est doublée par celle de la rue en arrière plan.
Quant au cône de Victor Sydorenko, il entraîne à voir sous la photographie, sous l’image, le simulacre.
Placé au premier plan, le cône instaure une distance entre l’image et le regardeur et en cela, il gêne la lecture
empathique.
Il rappelle le degré de composition de l’image y compris photographique malgré son coefcient référentiel : la cène
soviétique est trop harmonieuse pour l’être « en vrai » ; alors qu’elle était censée attester du calme rigoureux accepté
par tous, elle clame sa propre irréalité. Gagnée par la présence du cône, elle en devient phantasmatique, comme
image de l’image que l’on veut donner de… La valeur historique disparaît, la valeur propagandiste sourd.
Par son incongruité, dans cet espace, il agit à la manière de l’anamorphose des Ambassadeurs d’Holbein, qui
implique une seconde lecture toujours déjà latente et que l’on ne découvre que selon un point de vue précis,
généralement quand on quitte la salle. Comme l’anamorphose, induit par les lois de la perspective, il intègre la
déformation, ce qui caractérise l’image comme « calculée ».
Ce que n’écrase pas le moulin, c’est le faire sens.
Simone Dompeyre
Cf. Erwan Soumhi, Le bateau de Thésée Les Abattoirs, p.72
Cf. Autre oeuvre, Espace lll Croix-Baragnon, p.99
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