Page 145 - catalogue 2017
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11. Abattoirs Installations
La description se fait plus précise, en s’approchant des vestiges de cet habitat marque de la fn d’une époque,
emblématique de ce que subit une population.
La longue avancée mémorielle traverse des espaces vides: forêt, rivière, terres arides, collines rocailleuses, village
en ruine et la terre craquelée du premier texte.
En contrepoint les cris en arabe, plus tard en espagnol, les bruits de manifestations rappellent le réel.
Cependant, le flm ne se dissout pas dans l’accusation, flm disant, il est d’abord parole cinématographique. Le
noir et blanc porte ses avancées, par simple changement d’axe ou d’échelle, dans la forêt ; plantes des sous-bois,
troncs d’arbre en plans fxes s’animent sous la lumière qu’ils refètent.
En son centre, il travaille plus activement encore le signifant, l’approche se fait plus plasticienne en colorisation et
teintages, en bandes verticales passant en volets, avec des pointillés sur les paysages ; les ruines sont marquées
et ainsi paradoxalement sublimées : elles deviennent insignes avant que l’image ne perde de son iconicité, qu’un
corps se précise très lentement mais par à-coups.
Ce second moment porte la métaphore de l’humanité exsangue : en léger pantalon blanc, ce corps danse à même
l’aridité de cette terre. De loin, de près, de dos puis visage découvert, l’homme tourne enfn son visage vers le ciel.
Ainsi le travail sur le matériau-pellicule n’est jamais vain sous la main d’Emmanuel Piton : il est pensant esthétiquement.
La musique électronique en mineur et éclats ou accalmie se fait la partenaire de cette destruction-composition
puisque la pellicule s’érodant, ouvre des potentialités d’autres visions, puisque le fou et le grain, en « poésie de
l’émulsion » entraînent au-delà du factuel puisque l’engagement de quelques hommes prouve que l’on peut / doit
croire en des lendemains qui chanteraient.
Au poétique incipit :
« Ici, la terre est craquelée
Comme des chemins possibles à prendre
Au cœur de ce paysage lunaire
L’eau n’existe plus pour quelques instants
La cité se dévoile à nouveau
Puis disparait aussitôt comme si elle n’avait jamais été là
Engloutie
Sous le lac »
répond un explicit d’espoir
« (…) d’abord ce sont des chemins possibles à prendre
Des gouttes isolées chacune s’écrase avec un son diférent
Parfois les eux s’éveillent de leur sommeil. »
Simone Dompeyre
Victor SYDORENKO, Millstones of time (Ukraine)
Everyone grinds his own but we all do the same/Chacun moud son propre lot mais nous faisons tous de même
We are lovely and indiferent to each other/Nous sommes agréables et indiférents les uns pour les autres
Forced to co-exist together yet separately/Condamnés à co-exister mais chacun de son côté
Friends, ennemies, betrayers and the betrayed/Amis, ennemis, traîtres et trahis
Le montage de Millstones of time, très actif, scande en musique électronique des changements d’axe intempestifs
d’une scène dont l’impression de « déjà vu » mêle à la fois histoire de la peinture et imagerie de l’URSS alors que
l’invitation à la lecture comme parabole est imposée par le carton d’ouverture.
En vidéo, en demi-ensemble frontal, des hommes jeunes occupent sur une de ses longueurs, une table à nappe
blanche, ils tournent un bout de bois vertical, en guise de manivelle d’un dispositif à moudre, fait d’une pierre
plate agencée sur un support de bois brut. Deux de leurs semblables debout, bras croisés à hauteur des cuisses,
fanquent la table, derrière laquelle deux autres meuvent le bras horizontal d’une croix ou d’un étrange instrument.
Le fond simple de drap blanc tendu est parsemé de croix rouges.
Des focalisations sur la pierre ronde, la décrivent selon divers angles, comme partie de cette machine ancestrale ou
en plongée saturant le champ. En premier plan, un cône de verre encadré par deux étranges objets artisanaux de
bois à l’usage indéfni, perturbe plus encore une reconnaissance d’un référent. Le montage glisse autour de cette
image précise, détaillée, son écho pictural érodé à la manière d’une peinture pariétale. L’indistinction en gagne
certains motifs tout en réveillant une image originelle fort éloignée de la première scène.
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