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Cinémathèque de Toulouse  Installations

S’y reconstitue avec des matériaux épars mais très topiques des films de genre,
une sorte d’histoire de ce cinéma ; histoire approximative puisqu’elle tient du choix
assumé par Di Hu des plans qui l’ont point – ainsi la Laura métonymique de Preminger
revient ici et là – et dont il pense que « hors de leur contexte, ces plans s’apparentent
davantage à des photos ». En effet, le réalisateur se reconnaît dans la théorie que
Roland Barthes tient sur le punctum1 dans Camera Lucida/La Chambre claire2.

Histoire cependant du regard et des manières de voir, histoire des plans incontournables,
des topoï – mêmes attitudes, mêmes compositions de plans ici et là – des idées que
l’Amérique transmet de ses critères du beau, du bienséant, de ce qui se montre, de
ce qui se cache et de l’assimilation du beau et du bon, de l’obéissance. Cette quête
est guidée par la musique canonique avec ses élans, ses moments attendus, ses
silences quand le portrait atteint.

Peu d’occurrences voire aucune des types de parution de l’image-portrait n’est
omise : pages de journaux, de magazines spécialisés, affiches de cinéma, affiches ou
tracts de recherche policière et loupe pour mieux cerner les traits, affiche électorale
immense derrière Kane, caricatures, dessin, tableaux flanqués d’appliques dans
des appartements somptueux, en vitrine avec changement des étiquettes du prix,
dans les musées, amoncellement de portraits comme en un reliquaire, portrait lors
de discours mortuaire, portrait de chevet, portrait dédicacé… radios de visage et de
crâne bientôt superposées, écran de cinéma que l’on déroule…

Les comportements s’additionnent : vol d’une affiche découpée sous les yeux du
vendeur de billets du cinéma, dessin de lunettes sur l’image y compris sur celle de
l’homme invisible mais aussi fascination, accusation. Se répètent parfois quand le
hors-champ fait attendre le visage en un inventaire plaisant sous halo de lumière de
regardeurs/effigies regardées, le face à face fondamental ; quand les portraits sont

1 le punctum / la piqûre, le petit trou, la petite tache, la petite coupure mais aussi le coup de dés. Ainsi,
selon Barthes, ce serait le hasard qui point dans une photographie, ce qui ne peut être élucidé par analyse,
l’innommable. Un élément qui déclenche l’émotion, qui provoque une forte attention, alors même qu’il ne
relève pas de l’intention du photographe.

2 La Chambre claire. Note sur la photographie, 1980, où Barthes s’interroge sur la nature de la photographie
cherchant à savoir si elle se distingue des autres types d’images par un « génie propre ». Le texte dédié
à L’Imaginaire de Jean-Paul Sartre est cependant très lié aux affects de l’écrivain, très éprouvé par la
mort de sa mère, le 25 octobre 1977. Il commente souvent, sans jamais la montrer, une photographie
d’elle : La Photo du Jardin d’hiver. Cette impossible image se découvre dans Barthes par Roland Barthes.
25 photographies, anciennes et contemporaines s’essaiment dans l’ouvrage, parmi lesquelles les œuvres
de William Klein, Robert Mapplethorpe ou Nadar et un cliché de sa collection privée.
Quant à La Chambre claire, son titre en jeu se fonde sur la double traduction du même étymon latin
camera, par l’appareil « caméra » et le lieu, la « chambre ».
Il retient de la photographie développée dans l’obscurité, celle d’une chambre noire – en latin obscura qui
donne aussi obscurité – son évidence, son caractère certain, ce qui le conduit à la penser comme camera
lucida, puisque selon lui, à l’inverse d’autres modes de perception, elle donne son objet d’une manière
indiscutable et précise.

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