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Photographies Galerie 3.1
crédit photo Kaëlis Robert la nature ». Pourtant, Louis Viel ne se pose
pas en dominateur, usurpateur du monde
quand il emprunte la voie de cette pensée
du xviie siècle qui savait que « conscience »
se forme sur « con/avec et science/savoir »,
et dont il emprunte la trace mathématique
dans la création du monde : il mundo e scrito
en lingua matematica. Il ne revient pas pour
autant vers le dieu mathématicien du Timée
platonicien ni vers ce principe fondamental
de la construction perspectiviste du
Quattrocento, qui applique le calcul afin de faire coïncider les œuvres à ce calcul
divin du monde… il arpente le monde et en l’occurrence le volcan, en impliquant
le point de vue humain sans autre divinité que mythologique. Et se rejoignent ses
pratiques photographique et de land art, sur ce calcul de la composition artistique
écologique – au sens premier, en respect de la terre avec le « en-plus » de l’œuvre.
Ainsi en ce grand paysage revu, alors que le bleu du volcan en éloigne la masse
en profondeur du champ et l’assagit d’un flou léger celui du lointain, alors que la
netteté des monticules, des masses arrondies ou en angles brisés, la précision du
triangle charbonneux et celle des failles approchent le premier terrain fait d’une
ancienne éruption, une forme nette, partant de la limite du champ photographique
gauche traverse l’espace dans le sens de la lecture occidentale, emportant ainsi le
regard jusqu’au sommet de la Fournaise. La trace calculée renverse l’approche,
elle en transforme l’image. Trace plane, elle fomente un relief, un inter/plan en
photographie.
Paradoxalement sur image visuelle fixe, s’opère un land art, la bande dépasse le lieu
mais le lieu résiste différemment, la force brutale fait et ne fait pas signe. Sans doute,
le vigilant jugera-t-il ces rares touristes, réduits à des points de couleurs, comme des
inconscients de la force prête à fulgurer mais la force, elle, esthétique du noir sur
paysage s’impose. Elle est le pensé sur le hasard des formes du magma concrétisées.
L’artiste par son cadrage, en format carré, fait quasiment geste du « site-sculpture »,
la sculpture y étant remplacée par une petite plante de garrigue, rabougrie et sèche
d’un ton très clair en raison de son dessèchement, photographiée au plus près en un
tout aussi léger triangle blanc à la lumière plus nette.
« À un cyclone dormant sous les eaux de plomb » du Grand Lac Salé, Robert
Smithson pense, en 1970, Spiral Jetty, spirale de rochers, terre et cristaux de sel, algues
et eau de 475 m. Le travail de Louis Viel préfère le plus proche, il appréhende la
physicalité de la nature, sculptrice de la roche noire, la coupure, les strates obliques
dans la limite du carré qui implique la face-à-face pour en appréhender l’étrangeté
en accalmie mais il la charge du matériau mythologique.
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