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Installations Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 125


François TALAIRACH, L’A, Fr.
Des messagers en quête de message ?

Dans notre culture gréco-romaine, l’angelus, en
latin, anghelos, en grec désigne le messager : être
spirituel, siégeant au ciel, l’ange sert d’intermédiaire
entre Dieu et les hommes. La peinture, notamment
celle de la Renaissance, nous a familiarisés avec
ces silhouettes presque humaines, mais auxquelles
des ailes, souvent blanches ou dorées, permettent
l’envol, montré ou suggéré.
Qu’en est-il ici ?
Immergé dans l’obscurité, le spectateur voit
apparaître et disparaître des visages d’anges, ni tout à fait les mêmes ni vraiment étrangers les uns aux
autres, effgies colorées à la fois immobiles et mouvantes. Issues de photographies prises par François
Talairach dans des chapelles bretonnes, ces images de sculptures de bois deviennent doublement
virtuelles, en tant qu’images numériques et portées par les seuls rayons lumineux de la projection - …
tel qu’apparaissait aussi parfois le message divin dans certaines peintures. Dans l’Annonciation de
Carlo Crivelli de 1486 par exemple, l’Ange Gabriel est comme doublé par un rayon lumineux émanant
des cieux, et venant toucher le front de Marie. Un « voile intersecteur » - pour reprendre en les détournant
légèrement les termes d’Alberti - doucement animé par les mouvements ambiants, confère à ces images
d’anges la dimension aérienne, presque immatérielle, qui sied à leur condition. Et la richesse chromatique
de leurs teintes, souvent saturées, qui se superposent au fl des fondus-enchaînés, semble restaurer
une magnifcence oubliée. Cependant ces anges ont-ils vraiment quelque heureux message à nous
annoncer ?
Nulle parole ne sort de leur bouche fgée mais un son étrangement familier et inquiétant nous rappelle,
peut-être, que les anges ont aussi quelque chose d’humain… à moins que ce ne soit nous qui les ayons
colonisés…
Respiration humaine ou râles d’anges déchus ?…
L’inversion est justement bien présente dans cette installation dont la force méduse le spectateur. Sur
le plan technique, ces images sont en effet des négatifs et les couleurs initiales - celles des bois poly-
chromes des fgures photographiées - sont inversées. Les visages au regard creux, souvent blanchâtres,
paraissent alors attester de leur impuissance - leur fxité les séparant du corps de ces sons organiques.
Et le rythme lent et régulier, presque hypnotisant, de leur succession semble réfuté par les ruptures prégnantes
de cette respiration, au bord parfois de l’étouffement… Ces anges semblent alors de possibles témoins
d’une catastrophe invisible mais qu’ils nous suggèrent. Le monde contemporain n’est guère propice à
l’angélisme, les artistes le savent, qui nous montrent des anges souvent très inquiétants, de Bill Viola
dont les Five angels for the millenium, eux aussi dans le noir, nous livrent à un espace sans repères,
avec des mouvements aquatiques inversés, à Antony Gormley dont l’immense Ange du Nord, surmontant
une colline anglaise avec sa silhouette d’acier, évoque davantage l’industrie aéronautique que quelque
rêverie éthérée… ou encore aux images de visages d’enfants, Angels, de John Stezaker, dont les dis-
proportions et étirements nous donnent une vision de l’ange comme être mutant, aujourd’hui rendu
quasiment possible par les manipulations génétiques. Avec la radicale installation d’Ilya et Emilia
Kabakov, The Fallen Angel, l’ange s’est écrasé au sol, le corps en partie recouvert d’une bâche noire
- 7. Prép’art -
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