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Christin BOLEWSKI
Universal Tourist
Being elsewhere, comme preuve du regard compositeur
du documentaire, mêlait aux prises de vue d’Amérique du
Nord et du Ghana, par une petite caméra DV, des cartons
brisant ce flux et porteurs de réflexion empruntés par
exemple à Tristes Tropiques de Lévi-Strauss précurseur
de la critique du comportement ethnocentriste des
voyageurs - mais aussi des fragments musicaux.
Déclinant cette proposition, Universal Tourist, sans mot,
décrit les comportements partagés par l’homo turisticus,
quelles que soient ses origines.
Passage n’ignorait pas le poids du stéréotype puisqu’il
incluait une séquence au château de Cape Coast, dont le
guide répétait automatiquement jour après jour, son texte sur l'esclavage aux visiteurs du monument et
surtout parce qu’il glosait ce texte, Universal Tourist s’en amuse sans aménité.
Après la réflexion sur le genre même du documentaire, égrener les cas suffit comme démons-
tration. L’accumulation prend 7min 46 pour aller d’un point du monde à l’autre, de Rio à Londres, de Pekin
à Berlin... où elle convoque un seul œil, un seul processus, et exhibe l’analogie mondiale. L’artiste est cette
seule personne, elle s’autoproduit, elle filme, elle monte, elle compose la bande son. Christin Bolewski n’a
pas à donner la composition de l’image à d’autres,
Son écriture s’y détache certes de son exploration de l’écriture numérique, et de ses potentialités
esthétiques, comme les exalte une précédente installation, shan-shui-hua / montagne-eau-peinture en
traduction littérale - ainsi que de ses pratiques concernant l’Internet, mais elle n’en abandonne pas sa
réflexion sur la communication planétaire et les effets de la mondialisation.
Universal Tourist s’engage dans la photographie canonique quoiqu’amateur ; la vidéo ne tente
pas de recréer de paysage particularisant des régions où se rendent les voyageurs.
Très loin de la multi-perspective des peintures asiatiques, la photo adopte la composition centralisée, et le
plus souvent, le demi-ensemble censée rassembler un lieu et un ou plusieurs humains, alors même qu’il
privilégie celui-là au détriment de la description du lieu. Certes, il en reste le fragment encadré, preuve du
« ça a été », compris comme « tu vois j’y étais », mais ce lieu-là ne s’y voit pas ou bien il se restreint au
prétexte à la - pâle - imitation de la gestuelle de telle statue – en - ou de telle danse avec longues
manches du costume attribué au Tibet.
L’autochtone s’y soumet contre une pièce, un billet – l’allemand en uniforme de la Seconde Guerre
mondiale porte le badge de sa « mission » ; un vêtement de fête et de soie « traditionnel » attend posé
négligemment au sol, le touriste loueur le temps de sa pose.
Christin Bolewski, la voyageuse filme ceux qui passent au Palais Royal de Bangkok, qui s’ad-
mirent devant les Queens Horse Guards de Londres, ou prouvent leur pas sur la plage Waikiki à Honolulu,
diversement elle les voient s’approcher du garde au Checkpoint Charlie à Berlin, ou de la danseuse au
Potala à Lhassa, quant à la Chine, celle importée au Théâtre Chinois de Los Angeles, elle n’est pas moins
photographiée que la place Tiananmen à Beijing ; et les autres continents poursuivent l’addition, les sour-
ces Olgas et Alice en Australie, les pyramides de Teotihuacan, retour en Asie aux temples de Kiyomizu-
dera et Ginkaku-ji à Kyoto, sur la colline Penang en Malaisie Hill, et en Amérique à Rio de Janeiro.
De tels lieux pourraient tant la raison de leur construction, ou de leur usage, entraîner des comportements
liés à leur réalité… or la boucle de la mondialisation induit à se tordre les bras devant les sculptures
dansantes de Thaïlande, comme devant le haut bonnet à étages, ou à se tendre devant le Christ
Rédempteur de la dernière étape.
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