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Vidéos du Québec




Eugénie CLICHE, Paysage, 6'49, 2011
L’Indiscipline. Paysage le titre pourrait entraîner une attente à jamais
frustrée pour qui ne saurait pas la folie vidéoperformatrice d’Eugénie
Cliche. Vivace contre les définitions, elle refuse les classifications,
comme elle refuse une hiérarchisation des écritures au grand dam des
conservateurs de toute espèce. Elle convoque ces écritures pour les
mêler en un bel artifice, un beau jeu d’artifices.
Le clinquant de la publicité, la série année cinquante, la télé réalité, le
film de famille, la parodie du voyage, outre la pincée réflexive de l’incursion de l’équipe de techniciens
audiovisuels, se cumulent pour tâcher de suivre un couple en vacances.
Après le mariage et sa pièce montée, le voyage… selon le modèle dévié des livres pour enfants, type
« Martine à la plage/ Martine aux sports d’hiver… » - en France du moins, Martine la gentille petite fille ou
Bécassine, la maladroite bretonne qui pourtant conduisit motocyclette, aéroplane, automobile, escalada
les Alpes et s’essaya au cinéma - ou celui d’un autre perturbateur des manières de vivre petite bourgeoi-
se, Monsieur Hulot provocateur, lui sans le vouloir, d’éclats pyrotechniques.
Cependant la narration s’emballe, les épisodes se condensent en un plan qui, en outre, se transforme
dans un passage hâtif. Elle revient avec ce « paysage » qui n’a pas la sagesse de la stabilité, à sa têtue
investigation concernant notre rapport avec les images dont nous nourrit à satiété la société des médias.
L’explicit, qui fait mine de s’arrêter après les bousculades dans un improbable espace temps, sur les rives
du fleuve St Laurent, en rend dérisoire le désir. Le couple, d’abord par la synecdoque des jambes, plan
des moins usités, étale une bande de revêtement de sol, déceptivement grise sur l’herbe verte, et des
fumigènes à petites capacités font leur travail. Puis décrits de dos, lui et elle enlacés, répondent à la
topique du couple heureux, à la topique de l’homme qui, lui sait, et qui, de sa main tendue désigne
l’autre côté des eaux… or la couleur le verdit, avant de teinter, ainsi, de fluo la ciel magnifique du paysa-
ge-carte postale. Ciel qui subit diverses couleurs informatiques.
Le modèle d’élégance de l’homme et de la femme est miné de l’intérieur, elle accumule le rouge comme
obéissant à un précepte, celui de la mode de cet été-là ; rouge qu’il adopte dans un maillot de bain, haut
et avec bretelles ! et la musique de boîte de nuit ne leur rend pas leur glamour malgré le sourire une de
magazine. La beauté au rouge à lèvres hollywoodien n’a pour piscine que celle format enfant, et pour eau,
celle que son homme verse sur elle à l’aide d’une espèce d’arrosoir. Le plastique est souverain, la nature
en est contaminée- les chaussures aussi - l’homme tente de faire se tenir droit un palmier gonflable.
Les processus de construction de l’image ne se cachent plus ; le vide du blue key se surcharge à vue…
les objets sont déposés sur des toiles au sol avant un effet de verticalité ; les faiseuses de vent sont décri-
tes comme remueuses de tissu. La main qui jette dans la champ un nouvel accessoire, le fait sans scru-
pule de la limitation du cadre.
Les surimpressions comme les changements de direction ou d’échelle refusent la constitution d’un monde
logique. Eux couchés dans une herbe qui s’enfonce au point central où ils se lovent, deviennent de plus
en plus petits et éloignés, avant un cut et leur proximité retrouvée. Les espaces manquent de lignes de
fuite car ils échappent à la perspective ; le fonds cosmique du ciel naît comme un ballon de baudruche,
d’une machine à gonfler mais il entraîne dans les constellations.
Ainsi la vidéo embrouille-t-elle les pistes, le monde inventé provoque un contexte dont certains traits
ressemblent trop au monde du réel pour ne pas y lire, malgré l’absence de parole (un seul son échappé
du hors cadre), un discours de réveil précisément au monde tel qu’il devrait être.
La petite musique d’Eugénie, l’inquiète des relations du monde et de la terre, se fraie son chemin. Se
souvenir de cette courte vidéo, gros plan frontal de l’artiste qui appelait à « saisir nos voix ». Le dispara-
te tient par des échos « partitionnels » de gestes ou de composants de la quotidienneté, parce le déjan-
té ne l’est pas en profondeur. L’indiscipline ne se peut que parce que les disciplines sont dépassées.
D.S


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