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Vidéos du Québec




Isabelle LAPIERRE, Miroirs grafignés, 3', 2010
Miroirs grafignés étrange proposition puisqu’elle annule ce pour
quoi sont faits les miroirs, le reflet le meilleur, espère-t-on du sujet
regardant/regardé. « Grafignés » ouvre le champ de la paranomie
« égratignés », « grattés ». Cela en accord perturbateur de la vidéo,
dont c’est l’un des fils de ses sept courts chapitres avec son lot de
silhouettes attaquées et de joues marquées par les dents d’une
fourchette.
En accord plus métaphorique aussi, puisque l’égratignure vise le fonds établi de l’idéologie dominante,
celle qui raconte des histoires effrayantes aux enfants pour inculquer des modèles.
Eglise et famille s’extirpent, en effet, des premières figures de carton fin blanc, découpées, elles s’animent
dans la pixillation qui leur conserve la légère saccade du mouvement artificiel.
On a souvent dit “conte” pour l’origine de ce travail, pourtant pas de forêt obscure, ni de château à multi-
ples donjons du « il était une fois » mais un fonds gris, certes tout aussi illocalisable… pour ce chemine-
ment qui ne suit pas davantage une narration codée puisqu’il attaque les modèles directement. Six
silhouettes – dont -« elle »- la jeune femme en robe courte qui subit et réagit même si elle se résout à
adopter la marche à quatre pattes des autres à la fin – énumère la religieuse en habit sacerdotal, le
diable en civil et père, mère, fillette.
La nonne est, certes, moins répandue en France comme modèle à suivre – depuis la séparation de l’Eglise
et de l’Etat, qu’il faut pourtant défendre encore - que le diable comme repoussoir.
La famille se réduit à trois selon le modèle plus répandu de l’enfant unique, et les vêtements sont actuels,
avec le retour des sous-vêtements, type « Petit Bateau » - les Français reconnaîtront, les Québecquois
aussi, j’espère.
La religieuse avec coiffe à cornettes, porte la longue robe canonique et bien plus, elle tire derrière elle ce
qui devient traîne blanche… la famille trépigne ou mange en petite culotte et maillot de corps… les égra-
tignures varient selon la cible.
La religieuse ne sourit même pas lorsque l’auréole en forme d’étoiles naïves comme il se doit, devrait
illuminer sa pensée ; tête droite, elle arbore plusieurs croix outre la blanche de bois qu’elle tient, ce qui
relève plus de l’idolâtrie que de la piété ; son maquillage exagéré, yeux bleu turquoise, s’accorde avec le
cœur miséricordieux devenu un énorme cœur de bimbeloterie, davantage objet gagné dans ses machines
à sous de fête foraine que vendu par un bijoutier spécialisé…
Le diable n’est armé que d’une fourchette dont il égratigne - le fil rouge – la joue de la jeune fille, alors que
ses cornes sortent comme des blessures saignantes de son front. Du sang encore autour du corps d’une
jeune femme à laquelle « elle » vole les chaussures argentées à talons compensés et translucides. Des
meurtres factices sur silhouettes de la sainte et du démon par - « elle » fourchette à la main et faisant feu
avec un révolver qui se contente de dessiner l’impact des balles.
La leçon est, par ailleurs, amorcée par les titres avec un jeu de mots sur le double sème qu’il porte. Le
deuxième la re(prise) et le vol des chaussures ; le cinquième substi(tuer) « elle » prend la place de
l’enfant après la disparition type Méliès de celle-là et alors qu’elle était arrivée armée d’un grand couteau.
Et le passer au travers de pour l’assassinat des silhouettes…
Le saut dans le champ pour ces départs adopte des flous très sensibles en guise de raccords – pour
exemple quand le diable l’égratigne, lors du repas de la famille - quiprouvent la même artificialité.
Un « Power » type informatique, comme d’un « in » censé lancer le déroulement des « séances », ou d’un
« out » pour l’achever, peaufinent cette exhibition de l’irréalité, jouée aussi dans les comportements.
Le duel entre le tentateur et « elle » ne les fait jamais se toucher, leurs mouvements parallèles – lui agi-
tant la fourchette comme une épée mais dans le vide ; elle sur ses talons courant sur place en crescendo
- sont salués d’applaudissements requis par le panneau des émissions télévisuelles de divertissement.




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