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Projection au Gaumont Wilson
Dans cockpits [down], c'est avec des images de text adventure
games que j'ai travaillé. Un petit peu d'histoire, parce que tout le
monde ne connait pas forcément.
On se souvient peut-être mieux des "livres dont vous êtes le héros" qui
ont eu leur heure de gloire dans les années 80. Les text adventure
games s'en rapprochent beaucoup. Tout comme eux, ce sont des
fictions interactives. Il s'agit de l'un des plus anciens types de jeux vidéo. Dans ces jeux d'aventure,
l'environnement était décrit sous la forme de textes, presque exclusivement. Les paragraphes étaient
parfois accompagnés d'une image aux graphismes rudimentaires, mais il n'était pas possible d'interagir
avec ce contenu visuel : on interagissait avec les personnages ou l'environnement par des commandes
textuelles uniquement, elles aussi très simples : des choses comme "take key", "open door", ou, pour ce
qui m'a le plus marqué, une succession sans fin de "go east", "north", "up" ou "down". Les écrans de jeu
commençaient systématiquement par "You are at [...]" "You are by [...]" : "Tu es [quelque part]". Ils
s'achevaient tout aussi systématiquement par une demande d'instructions adressée au joueur.
Pour ce film, j'ai fait des coupes dans les textes et n'en ai conservé que ces premières phrases, à la fois
adresse personnelle et indication d'un lieu. Cockpits [down] énumère ainsi une série d'endroits disparates,
il s'y recompose un récit dont le spectateur est le protagoniste, une déambulation fantaisiste, mais aussi
une chute.
More cockpits [-ship version] s'apparente plus à un tas de
squelettes exhumés. J'ai pioché cette fois dans un répertoire plus
vaste, jeux d'action, de course, simulateurs de vol... J'y ai supprimé
tout environnement, toute information, et tout repère de navigation :
plus de monstres, de paysages, de barres de vie, ou d’informations sur
les jauges. Seule l'ossature des interfaces a été conservée.
"Dans les faits" de mon travail, il y a cette question : il m'est régulièrement arrivé de présenter
des films en les associant par paquets au sein de flux vidéo, d'installations ou de programmes, de les
considérer, oui, parfois comme des pièces - comme on le dit d'oeuvres -, mais aussi, à d'autres moments,
comme des pièces détachées qu'il m'était nécessaire de rassembler au sein de dispositifs plus vastes.
C'est à voir, toujours. Ce qui est alors en jeu, c'est de trouver un sens à tout cela, un "sens" comme il est
question d'une orientation dans l'espace, un parcours, un ensemble de points que l'on cherche à relier
entre eux. Une carte, toujours la plus complète possible. Un souhait d'exhaustivité.
La matière première de mon travail, je l'ai souvent trouvée dans ou par les images les plus
courantes. Je devrais peut-être préciser : celles qui me sont les plus courantes, issues des médias de
masse. Mais les termes sont vagues et largement insuffisants. Ce sont les images fascinantes - celles qui
m'intiment la fascination - des jeux vidéo, de la publicité et de la propagande, ou encore ces images que
l'on regarde rarement autrement que clandestinement : celles qu'il faudrait mieux nommer par leur
définition, les "représentations complaisantes de l'obscène". Et j'écris bien "faudrait", tout en espérant
qu'on y lise, par habitude, "vaudrait".
Dans, ou par les images qui me sont les plus courantes, parce qu'il y a à la fois les images que je
regarde, télécharge, consomme, et celles que je tourne. Je montre ce que je fais des premières comme
je montre les secondes. Et celles que je tourne ont souvent trouvé leur motivation par celles que je
regarde : le besoin d'expérimenter leurs codes, les triturer, les faire siennes, les domestiquer. A la base, il
y a ce souhait de travailler en partant de son point de vue de spectateur, attentif à sa propre disponibilité
aux images. Aussi, je cherche souvent à ce que le public éprouve, fasse les-preuves de sa position de
spectateur.
Yann Weissgerber
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Faut Voir 43