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La demi-heure croate

Son protocole suit le va et vient entre ce qu’il voit, filme au téléphone pris pour caméra et
l’interface de son ordinateur qu’il prend comme rétro-projecteur pour composer son film.
Très loin de puiser dans les nécessités de la mimésis, il transforme les corps : jeune femme
maquillée de papillons, jeune fille en fleur sous des pois de couleur en mouvement… Il fait glisser des
papillons réalistes à une femme sous drapés, aux gestes incantatoires, à une statue d’éphèbe doublée en
deux couleurs avant d’emprunter à la peinture rococo des anges musiciens, de faire pleuvoir d’autres
éléments sur le couple de l’Egypte ancienne et souriant à jamais…il fait tourner un œil de magazine sur
lui-même, un cowboy sépia de western dans tous les sens sans hiérarchisation. L’éclectisme est de
mise… à tel point que la vidéo s’inaugure par des papiers découpés, un rose voletant sur rien, sur un
canapé… et l’écho d’un Arp et ses superpositions, ainsi qu’un écho que ne désavouerait pas Magritte - et
parmi d’autres tableaux son The Ignorant Fairy - en écho de la femme silhouette, ni de son visage à demi
visible et à demi drapé théâtral sur fonds d’encadrement de tableau , ni en cette jeune fille papillons, ou
ce corps sous un drap comme les Amants.
L’écriture de Dalibor Baric se fait et se défait, point à point, plan à plan, défiant la narratologie…
il fait histoire pour la défaire.
Car, en images précises, s’y suit une logique en ce qui concerne la vie des papillons,de la naissance à
leur accrochage, tel cocon sombre accroché à une branche dont s’extrait un insecte ; tel autre vert et des
chenilles actives et des papillons colorés… et encore cette amusante chenille tout ébouriffée… la vidéo
très organisée, se plaît à la loi des associations de formes mais aussi à celle des métaphores. La beauté
éphémère des papillons - et d’une svelte et transparente libellule - et celle des femmes entraîne la tête de
mort d’un momento mori ; cela se choque, se superpose, s’embrasse…
Ainsi le « souviens-toi que tu es mortel » devient « profite de la vie » / le carpe diem et ce sont insectes
sur pistil phalloïde, fragments de corps, maquillage des plus vifs, corolles en flicker, et en variation de
couleurs… L’appel à tous les sens guide, les fleurs s’ouvrent.
Un autre titre de Magritte invite au voyage vers la seconde vidéo Tentation de l’impossible. Elle
aussi flotte entre être et n’être pas, entre la narration et l’aléatoire de plans; les images circulent, selon
l’injonction du titre The Spectres of Veronica comme des fantômes demi-transparentes, elles interdissent
de décider de leur nature d’hallucination ou d’élément réel. Le footage puise dans un film d’amour avec
mariage et robe de circonstance ; images surannées des années 20, couronne de fleurs d’oranger et
comportement amoureux.
Si la métaphore animale portait la réflexion sur les modèles de regard sur la beauté et le plaisir,
l’image de la femme et la sensualité gouvernent les mouvements de Véronique… Avec une pincée de
violence, la femme brandit un couteau de métal effilé et brillant, avec l’inclusion du sexe, elle implique
corps nu seul ou corps nus enlacés faisant l’amour voire un jet jaillissant de la coupe tenue par la jeune
mariée. La figure de celle-là alterne avec le canon plus psychédélique y compris par avec tatouages en
arabesques sur le visage, ou avec des topiques surréalistes de visage sans bouche ou sans yeux ou
d’yeux seuls… Un fœtus revient du topique de la naissance d’autant qu’il tourne sur lui-même… des
chansons fondent un espace réunissant cette diversité qui se perturbe, simultanément.
Deux vidéos synecdoques du travail de l’artiste qui a été qualifié par la formule étrange mais
adéquate de « voyeur de la réalité, qui use des films comme des rétroviseurs et qui use de la réalité,
comme dernier domaine public du film ».
L’étrange fonctionnement de ces films provocants et provocateurs d’un monde à part où logique et
irrationnel ne se séparent pas, très loin de n’être que variations envolées et agitées en dit beaucoup sur
notre monde régi par le désir.

Simone Dompeyre

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